Depuis des décennies, une mystérieuse statue intrigue historiens et autres spécialistes. Cette statue de Marianne noire, aussi appelée Liberté par ses commanditaires, se voulait être un symbole de la lutte républicaine des loges maçonniques toulousaines au XIXe siècle.
Une statue maçonne née de l’avènement de la Deuxième République
Au premier étage du Musée départemental de la résistance et de la déportation de Toulouse se trouve une statue de Marianne noire trônant majestueusement à l’entrée de la salle d’exposition. Ne faisant partie d’aucune collection, elle y joue pourtant bel et bien son rôle de symbole de la résistance.
Avec la Révolution de février 1848, mettant un terme à la Monarchie de juillet datant de 1830, née la II République.
C’est à cette époque que dans un atelier de l’école des Beaux-Arts de Toulouse, un sculpteur et ses élèves s’affairent à la création d’une statue commandée par les cinq loges maçonniques toulousaines.
Ce sculpteur, du nom de Bernard Griffoul-Dorval, est lui-même franc-maçon. Cette statue nommée Liberté a alors pour objectif de célébrer l’avènement de la Deuxième République ainsi que d’affirmer la lutte républicaine des loges maçonniques toulousaines du Grand Orient de France.
Elle est présentée aux loges quelques jours avant la proclamation de l’abolition de l’esclavage, une lutte menée par les francs-maçons, notamment au sein du gouvernement provisoire de 1848.
Une Marianne aux allures universelles bien que revendicatives
La statue arbore nombre d’attributs, à commencer par un bonnet phrygien, symbole de la République qui permet ainsi d’arguer son identité en tant que Marianne et icône républicaine. Toutefois, le bonnet comporte des stries sur ses bords, symbole typique des némès égyptiens, exhibé par les pharaons.
D’autre part, transparaît la lutte contre l’esclavage menée par ses commanditaires à travers les habits dont elle est parée ; en effet, cette Marianne porte une tunique d’esclave. Elle est également drapée d’un peplos, habit de la femme libre de la Grèce antique. Liberté est ainsi à la fois esclave et libre : une esclave affranchie peut-être ?
Son identité maçonne ne fait par ailleurs aucun doute grâce aux emblèmes qu’elle porte. Mêlés à ses cheveux, nous retrouvons des épis de blés. De la même manière, il est possible de discerner une équerre et un compas faisant office de fibule retenant sa tunique.
Quelques clins d’œil sont aussi faits à certains mythes : sur l’épaule de notre Marianne repose la tête du Lion de Némée et la ceinture qu’elle porte est probablement celle de la reine des Amazones, Hippolyte. Ainsi, ce buste de Marianne se veut universel, elle est tout à la fois : républicaine, maçonne, pharaon, esclave affranchie…
Un buste précurseur condamné à la clandestinité
Ce buste de Marianne est inauguré le 17 avril 1848 lors d’un grand banquet mondain regroupant environ 350 francs-maçons dans un Grand Hôtel bordant la place du Capitole à Toulouse. Cet évènement se déroula quelques jours donc avant l’annonce de l’abolition définitive de l’esclavage et de l’émancipation des esclaves le 27 avril 1848.
Cependant, la statue ne sera pas dévoilée au public à cette occasion. La fragilité certaine du nouveau régime pousse à la prudence quant à l’affichage ostentatoire de toutes ambitions républicaines. Et pour cause, les élections législatives du 23 et 24 avril 1848 sont remportées par le parti de l’Ordre et les royalistes.
Au mois d’août, c’est une loi déconseillant aux Mariannes d’avoir tout emblème séditieux qui est votée. La Marianne maçonne sera tout de même présentée au public le 22 septembre 1848 à l’occasion du 56ᵉ anniversaire de la Première République. Le buste devient alors un symbole républicain de l’abolition de l’esclavage. Néanmoins, en mars 1849, une nouvelle loi est votée proclamant l’interdiction pure et simple du bonnet phrygien.
La statue de la Marianne noire restera ainsi cachée du grand public dans le temple du Grand Orient de France au 5 rue de l’Orient à Toulouse.
L’Histoire n’aura à nouveau vent de son existence que lors du pillage du temple maçon par la milice toulousaine de Paul Marty sous le régime de Vichy, pillage au cours duquel la Marianne sera maltraitée et exécutée symboliquement d’une balle dans le torse.
Elle sera finalement enterrée par des maçons à quelques rues du temple dans le quartier Bonnefoy afin de la protéger pour ne réapparaitre mystérieusement dans les registres départementaux qu’en 1977.