2 millions de manifestants ! Le 19 janvier dernier a été marqué par le retour en force des luttes et grèves contre la réforme des retraites annoncée par le Gouvernement d’Elisabeth Borne.
Dans cette clameur, le Rassemblement national essaie de se faire une place en se présentant comme opposant au gouvernement libéral d’Emmanuel Macron.
Cette réforme est un « enfer social », selon Julien Odoul. Sébastien Chenu parle d’un « abandon de la France qui travaille », quand Jordan Bardella affirme qu’il s’agit de « faire payer nos compatriotes les plus modestes ».
Les élus et responsables du Rassemblement national emploient un vocable d’opposition sociale à ce projet de loi. Pourtant, lorsque l’on soulève le tapis, on trouve une stratégie de récupération des thématiques sociales élaborée par Marine Le Pen depuis déjà 2012.
Quand le Front national défendait un départ à la retraite à 65 ans
La question des retraites a toujours perturbé l’ADN libéral du Rassemblement national, et depuis une dizaine d’années, Marine Le Pen en fait un marqueur social dans son programme.
Cependant cela n’a pas toujours été le cas. Dans le programme de 2007 du Front national, on pouvait lire comme mesure « un retour à 65 ans de l’âge légal de la retraite ». En effet, Jean-Marie Le Pen se prononçait en faveur d’un âge légal de départ à la retraite à 65 ans et voulait mettre fin aux régimes spéciaux.
60 ans, vraiment ?
« Je sais que la vision ultralibérale consiste à dire qu’il faut allonger indéfiniment la durée de travail. Je suis contre. » disait Marine Le Pen en novembre dernier.
Dans sa volonté de faire peau neuve, de 2012 à 2022, le Front national dirigé par Marine Le Pen couvre l’ancienne position sous des couches de peinture sociale et propose dans son programme à l’élection présidentielle 2017 une retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisations pour tous.
En revanche, en 2022, on peut lire dans son programme : « Permettre à ceux qui ont commencé à travailler avant 20 ans pendant 40 annuités de prendre leur retraite à 60 ans. »
La candidate a présenté « sa » réforme des retraites lors d’une conférence de presse. Elle y a remplacé l’âge légal de départ à 60 ans par une progressivité en fonction de l’âge de début d’emploi, qu’elle résume ainsi :
« plus l’âge d’entrée dans l’emploi sera bas, plus le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier du taux plein sera, lui aussi, faible ».
Elle définit trois tranches en fonction de l’âge de début d’emploi : entre 17 et 20 ans, entre 20 et 24,5 ans puis après 25 ans. Pour cette dernière catégorie, elle ne propose pas de changement : âge légal de départ à 62 ans avec 42 annuités pour toucher le taux plein. Tous ceux qui ont travaillé après 25 ans devront aller jusqu’à 67 ans avec 42 annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Cette proposition est bien différente de celle revendiquée par la CGT ou la FSU, qui est de 37,5 annuités nécessaires pour toucher le taux plein.
Les grands perdants de sa réforme ne sont pas les plus riches, mais une nouvelle fois, les jeunes sans emploi, les étudiants, les femmes et les plus pauvres. Par exemple, une personne travaillant dès l’âge de 21 ans pourra partir à la retraite à 61,5 ans.
À l’heure où le chômage des jeunes est à 19 %, la volonté de Marine Le Pen est d’inciter les jeunes à arrêter les études et d’entrer le plus tôt possible sur le marché du travail s’ils veulent espérer une retraite à 60 ans.
Les autres perdantes dans le projet de Le Pen sont les femmes. Comme pour la réforme d’Elisabeth Borne, aucun dispositif n’est prévu pour celles qui ont vu leur carrière hachée (femmes enceintes, garde des enfants, etc.). Même si la durée de cotisation pour obtenir un taux plein était réduite à 40 annuités, elles devraient toujours attendre pour certaines l’âge de 67 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
À noter également que le RN n’aborde pas le sujet essentiel de la décote, mesure brutale introduite dans les années 2000 et qui pénalise une deuxième fois les personnes parties à la retraite sans avoir toutes les annuités, et peut faire baisser drastiquement le montant de la pension.
Du côté des travailleurs mobilisés ?
Depuis le 19 janvier, les élus du Rassemblement national n’ont de cesse de se réjouir de la mobilisation sociale, qualifiée de « succès populaire », et de féliciter les Français pour leur engagement.
Cependant, le parti n’appelait pas à manifester lors de cette première journée de grève, et vraisemblablement, il ne le fera pas non plus pour le 31 janvier.
Aucune surprise puisque l’extrême droite française combat historiquement l’organisation des travailleurs, nationalement comme localement, en fustigeant les syndicats, en leur refusant le prêt de salles municipales, etc.
Aujourd’hui encore, elle s’attaque frontalement aux syndicalistes, entre autres Philippe Martinez (CGT) ou Laurent Berger (CFDT), les qualifiant tour à tour de « tartuffes » ou de « sociaux-traîtres ».
Les élus du RN les rendent responsables et « complices » de l’attaque au droit à la retraite mise en œuvre par Emmanuel Macron, pour avoir appelé à voter pour lui en avril 2022 afin d’empêcher l’élection de Marine Le Pen. Ce discours simpliste sur les enjeux de la dernière élection présidentielle visant à faire croire que le programme de Marine Le Pen était social s’accompagne d’une affirmation que l’opposition du RN à la réforme se fera à l’Assemblée nationale.
Jordan Bardella qualifie son groupe de « premier groupe d’opposition » et affirme qu’ils présenteront un contre-projet. Cela permettra de faire tomber les masques puisque les propositions du parti d’extrême droite fossoient le modèle social français qu’il feint de défendre.
L’extrême droite, autre fossoyeur du système de redistribution
Le projet politique de la gauche pour la protection sociale repose sur une redistribution des richesses produites par le travail pour bénéficier à toutes et tous les travailleurs, c’est précisément ce qui est à l’œuvre dans le système de retraite par répartition.
Le mécanisme central de ce système est celui de la cotisation : une part du salaire qui est socialisée afin d’être redistribuée.
Les gouvernements libéraux des dernières années s’attaquent aux cotisations en baissant leur montant dans diverses situations ou en exonérant certaines entreprises. Par exemple, depuis le 1er janvier 2019 a été instaurée une réduction de cotisations pour les employeurs dont les salariés touchent moins de 1,6 SMIC, qui va jusqu’à une suppression totale des cotisations pour les salaires au SMIC.
L’objectif est l’affaiblissement du système de répartition, par appauvrissement de ses ressources, pour favoriser la retraite par capitalisation et l’augmentation du profit sans ponction pour le pot commun.
Il s’agit de décisions politiques néolibérales, et la lecture des programmes du Rassemblement national montre que leur politique ne serait pas différente !
En effet, dans son programme de 2022, Marine Le Pen écrit que pour une entreprise augmentant les salaires jusqu’à 10 %, elle exonérera de cotisations sociales la part augmentée. Avec une telle mesure, il n’y aurait pas d’apport supplémentaire dans les caisses de retraite.
Il s’agit là aussi de casser le système de la répartition : on décorrèle l’augmentation de salaire de l’augmentation des ressources de la Sécurité sociale, cela revient donc à la fragiliser.
Il est nécessaire de dénoncer cette proposition comme issue de l’idéologie néolibérale qui favorise le salaire net, de l’employeur au salarié, privant celui-ci du pouvoir que lui confère la part de salaire socialisé : poids de décision et protection grâce au fonctionnement de la Sécurité sociale.
En somme, le Rassemblement national n’est pas et ne sera jamais un allié dans la lutte contre la réforme du gouvernement Borne. Les arguments ne manquent pas pour discréditer la pièce de théâtre d’inspiration fasciste qu’il joue actuellement, dans laquelle il fait croire qu’il est l’allié des travailleurs.
rédigé avec Safia Oubaïd