Meeting de Mélenchon à Lille : entre censure et outrance 

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Meeting de Mélenchon à Lille : entre censure et outrance 

L’extrême droite et les macronistes auraient voulu offrir une tribune à la France Insoumise qu’ils ne s’y seraient pas mieux pris. Voilà ce que devait se dire jeudi soir Jean-Luc Mélenchon sur la tribune bricolée à la hâte place Vanhoenacker à Lille pour dénoncer l’annulation par deux fois d’un meeting de la formation de gauche dans la capitale des Flandres. Retour sur une semaine navrante pour le débat public. 

Macronistes et Lepénistes main dans la main pour la censure

Jeudi 18 avril, Jean-Luc Mélenchon et Rima Hassan, candidats insoumis aux élections européennes, devaient tenir une “conférence”, ou plutôt un meeting, à l’université de Lille. Voilà.

C’est ici que l’histoire aurait pu s’arrêter. Mais c’était sans compter sur le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand qui sonna la charge en premier. Le motif ? Le logo d’une petite association coorganisatrice de l’événement, représentant le territoire composé de la bande de Gaza, d’Israël et de la Cisjordanie comme un tout, avec apposé le nom de l’association : “Libre Palestine”. Pour l’élu Les Républicains, il ne s’agit ni plus ni moins de la “négation de l’existence d’Israël”. Une interprétation sacrément tirée par les cheveux, tant l’image de ce territoire est communément utilisée pour désigner de manière indifférente la Palestine ou Israël dans bien des cas, sans que cela suscite de polémique.

Il n’en aura pas fallu plus pour que Sébastien Chenu, député du Rassemblement national, saute sur l’occasion pour réclamer lui aussi l’annulation de ce meeting. S’embarrassant encore moins de chercher un fondement à celle-ci, le vice-président d’extrême droite de l’Assemblée nationale s’est contenté de déclarer, sans aucune preuve, que « des propos antisémites seraient probablement tenus ». Une accusation qui pourrait parfaitement coller à un meeting de son parti. 

C’est ensuite la députée macroniste de Lille Violette Spillebout qui s’est joint aux demandes de censure, achevant ainsi une semaine chargée, entamée par la dénonciation d’affiches des Jeunes communistes du nord la visant pour son soutien à la logique belliqueuse de Macron en Ukraine. 

Finalement, c’est donc une alliance LR-LREM-RN qui aura fait pression pour faire interdire un meeting de l’opposition, créant ainsi un précédent plus qu’inquiétant. Face au tollé, le Président de l’Université a pris la décision d’annuler la conférence, déclarant que les conditions d’un “débat serein” n’étaient plus réunies. C’est bien le moins que l’on pouvait en dire. 

“Effet Streisand” et point Godwin 

Voilà ainsi toute l’attention médiatique et politique centrée sur un meeting d’une organisation de gauche et sur une association quasi inconnue se retrouvant du jour au lendemain sous le feu des critiques. Une aubaine pour la France Insoumise, qui surfe depuis maintenant longtemps sur une stratégie de victimisation permanente sur le registre du “nous contre le reste du monde”. Dans le récit du mouvement populiste, cette interdiction vient confirmer une fois de plus leur statut d’ “insoumis”, devenus “infréquentables” car trop radicaux. Une stratégie savamment entretenue, mais dont les résultats en dehors des militants de gauche radicale convaincue restent incertains. 

On retrouve ici l’illustration parfaite de “l’effet Streisand” : lorsque l’on cherche à censurer quelqu’un ou quelque chose, il existe de fortes chances qu’on lui offre une visibilité plus importante qu’elle aurait eu si on n’en avait pas parlé. Bien conscient de cela, LFI a reprogrammé immédiatement un meeting dans une autre salle. Là encore, ceux-ci se sont heurtés à une censure inacceptable de la part de la préfecture cette fois-ci, arguant que la nouvelle salle choisie présentait des risques de sécurité. 

Nouvelle censure, nouvelle aubaine pour les insoumis, qui organisent au pied levé un “rassemblement contre la censure” aux allures de meeting électoral. Galvanisé par ses troupes présentes en nombre, le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon a pu se livrer à son exercice préféré : l’insulte et l’outrance. Dans une séquence particulièrement dérangeante, celui-ci compare les insoumis aux victimes du nazisme et le président de l’université aux hauts fonctionnaires nazis : “Nous connaissons ceux qui dans la chaîne interminable du mal signent un papier pour donner des ordres à la police. “Moi, je n’ai rien fait, disait Eichmann, je n’ai fait qu’obéir aux lois de mon pays”. Alors, ils [ceux qui les ont censuré] disent qu’ils obéissent à la loi et ils mettent en œuvre des mesures immorales qui ne sont justifiées par rien ni personne. Celui qui a cédé, président de l’Université, […] à l’instant où il avait à décider, il n’était plus uniquement un brave homme, il était président d’une université. ” 

Une manière donc de comparer la censure d’une conférence à la déportation et l’extermination de millions de Juifs, et le président d’une université à la tête pensante de ce génocide. 

Finalement, c’est la liberté d’expression, mais aussi la décence qui auront fait les frais de cette semaine de polémiques et de censure. Incapables d’assumer un débat d’opposition serein dans le pays, élus et préfets ont choisi une inquiétante option autoritaire. Incapable de se hisser à la hauteur des enjeux actuels, Mélenchon, lui, aura encore une fois fait du Mélenchon. Et cela commence de plus en plus à ressembler à du Trump. 


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