L'”islamo gauchisme” est une insulte

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L'”islamo gauchisme” est une insulte

La récente intervention de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a déclenché une tempête médiatique autour du terme « islamogauchisme ». Les réactions de la conférence des présidents d’université et du CNRS sont elles-mêmes venues alimenter le maelstöm d’indignations, approbations, consternations et autres démonstrations passionnelles qu’a suscité le néologisme. 

Les commentaires se sont depuis largement empilés. La moitié précise que la période impose de parler d’autre chose sans le faire. L’édifice ainsi formé étant déjà particulièrement hideux et branlant, c’est sans gêne que j’y apporte mon concours.

L’islamogauchisme n’existe pas

Cassons, le suspense. Ça a déjà été dit plusieurs fois, mais l’islamogauchisme n’existe pas vraiment. Il ne s’agit ni d’un courant de pensée ni d’un corpus, pas même une idéologie ou un groupement de personnes. Il s’agit d’une insulte. 

D’ailleurs, l’utilisation du terme « gauchisme » — qui est également une insulte — dans la construction du mot aurait pu mettre facilement la puce à l’oreille sur la signification réelle de ce terme. Vouloir mesurer l’impact de l’islamogauchisme dans les productions universitaires a autant de sens que de chercher à expurger les facultés de l’idiotie. 

Le terme peut être inscrit dans la famille des insultes politiques construites par la jonction de deux mots n’ayant pas grand-chose à voir l’un avec l’autre. On peut citer ainsi le féminonazisme ou l’hitlérotrotskisme dont il est également inutile de chercher une définition. 

Jeter l’opprobre pour faire taire les critiques

Cette insulte était cependant ciblée. Ou si elle ne l’était pas, d’autres voix se sont empressées de lister ceux qui sont qualifiés d’islamogauchistes. 

Il s’agit avant tout de personnalités politiques de gauche que même la définition la plus extensive de l’islamisme ne parvient pas à couvrir. Leur point commun c’est de mettre en avant dans leur discours la dénonciation des discriminations racistes pratiquées en France. 

Ces discours qualifiés de « victimaires » sont accusés de faire le jeu d’un agenda politique islamiste visant à transformer les croyants musulmans de France en communauté politique, d’où l’infamant qualificatif.

Pourtant, ce n’est pas Mediapart ou la France Insoumise qui cherche à structurer l’islam de France. Le rapport à la religion à gauche est nettement plus clair que celui d’Emmanuel Macron qui a qualifié « d’abîmé » le lien entre l’État et l’Église devant la conférence des Évêques de France. L’audition à l’Assemblée nationale de représentants de religions lors de l’examen de la loi bioéthique n’a pas suscité un concert de réactions indignées. La dénonciation d’une complaisance à l’égard de l’islam d’une partie de la gauche semble donc tenir davantage du dénigrement que d’une volonté réelle de tenir éloigné le fait religieux du débat public.

Chez les universitaires, les coupables de l’islamogauchisme sont les chercheurs de sciences sociales qui mettent en avant l’impact des discriminations dans leurs travaux. De façon amusante — ou non ? —, il semble que les travaux sur le sexisme soient également inclus dans l’islamogauchisme. Ce dernier point semble confirmer que derrière le terme se cache, avant toute chose, un discours conservateur.

Derrière le débat sur l’analyse, l’inaction du gouvernement

La sortie de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche n’est pourtant pas un dérapage. Elle s’inscrit assez logiquement à la suite du discours présidentiel d’Emmanuel Macron contre le séparatisme. Dans ce discours, il propose de créer des études islamiques dans les universités françaises et appelle à rejeter les travaux des sciences sociales « totalement importés des États-Unis d’Amérique ». Frédérique Vidal aurait-elle dû fustiger l’américanogauchisme ? Est-elle une représentante de l’islamomacronisme ?

L’appréciation de la qualité des travaux universitaires des uns et des autres n’est pas de ma compétence. L’utilisation d’injures par la ministre paraît cependant un assez mauvais commencement.

Sur le plan politique, la question est celle du combat contre les discriminations, notamment racistes. Dans une tribune plusieurs membres de la majorité présidentielle — non sans avoir traité la gauche d’antisémite au préalable — le reconnaissent : 

« Refuser de traiter la question des origines ou celle de la couleur de peau au sein des problématiques de discrimination par peur d’abîmer l’universalisme à la française est non seulement inconséquent, mais aboutit à crédibiliser les propos de ceux-là même qui défendent une essentialisation du débat. »

L’avantage de la dénonciation des théories universitaires, c’est qu’elle ne coûte pas cher et quand elle repose sur des insultes ne prend pas beaucoup de temps. L’inconvénient c’est qu’elle ne produit aucun effet réel. 

L’important c’est de combattre le racisme

Depuis plusieurs années, des pratiques de la police aboutissant à des discriminations racistes des citoyens sont dénoncées, la réponse du gouvernement a été de vouloir interdire de filmer les policiers.

Il est facile de dénoncer « le cadre du débat gauche-droite, qui enferme dans des totems conceptuels et sémantiques ». Il semble plus difficile d’agir. Après bientôt quatre années au pouvoir, la République en Marche n’a pas agi. Les discours aux accents mystiques du président de la République sur les « inégalités de destin » n’ont pas été suivis d’actes. Le dédoublement des classes de CP dans quelques territoires ne peut pas tout.

J’attends d’un gouvernement qu’il se saisisse des travaux scientifiques sur les discriminations racistes pour lutter contre celles-ci, pas pour insulter leurs auteurs. Le problème n’est pas un islamogauchisme à l’université, le problème c’est une société française dans laquelle les discriminations racistes existent et sont fréquentes.


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