Au terme de “nuits de négociation”, les “Jeunes de la NUPES” ont annoncé en grande pompe avoir réussi à se mettre d’accord sur un programme en 166 mesures. Ils entendent prouver ainsi que les clivages au sein des partis de gauche ne seraient pas indépassables, et utilisent ce document pour appeler quotidiennement à l’union les responsables politiques de gauche.
Pour vous, l’Avant-Garde résume le programme en 10 mesures phares, censées faire consensus à gauche.
Énergie : du flou artistique
Plusieurs propositions du “programme” sont absolument contradictoires entre elles. Florilège.
La proposition 5 défend la “création d’acteurs publics européens de l’énergie”. On suppose donc que cela implique de pousser en avant l’intégration européenne en renonçant à un opérateur national comme EDF.
Quelle n’est pas notre surprise de voir la proposition 63 “défendre les monopoles publics pour l’énergie”. Ce qui implique le retour en France d’un monopole EDF-GDF nationalisé. Et exclut donc tout acteur “européen”, même public.
Mais, poussant la contradiction au bout, la proposition 102 revendique des aides publiques pour “permettre le déploiement de systèmes énergétiques locaux” associatifs ou d’économie sociale et solidaire. On se demande bien comment cela serait compatible avec un monopole public.
Bref, la prétendue union sur la question énergétique a été atteinte en formulant dans le “programme” trois positions différentes, l’une délégant la souveraineté énergétique à d’hypothétiques acteurs européens, l’autre à des systèmes locaux associatifs, le dernier à un monopole public.
Pour les communistes, le choix est clair, nous voulons un monopole public de l’énergie, intégrant sous forme d’EPIC l’ensemble de la galaxie de sociétés que sont devenus EDF et GDF, mais aussi le géant pétrolier Total. Ainsi, nous garantirons la souveraineté des salariés et des usagers sur le principal outil de la transition écologique.
Les Jeunes NUPES, VRP des marchands de canons européens ?
Sur la question urgente de la paix, les désaccords à gauche sont connus, notamment concernant les ventes d’armes. La position commune sur la question était donc particulièrement attendue. La voici, accrochez-vous :
Proposition 157 : “Mettre en place une obligation d’achat d’armements en interne de l’UE afin de garantir des débouchés européens pour les industries de défense européennes.”
D’aucuns auraient parlé de paix, de souveraineté nationale sur l’armement, de coopération dans le cadre d’un nouvel accord débarrassé de l’OTAN. La garantie des débouchés de Heckler & Koch ne nous était pas apparue comme l’urgence du moment.
Que faire des traités austéritaires ?
Sur le sujet majeur des traités budgétaires imposant l’austérité en Europe, il semble encore que l’unité ne soit que de façade, tant les propositions sont contradictoires entre elles.
La proposition 56 revendique ainsi d’ “abroger le Pacte de Stabilité et de Croissance et ses critères budgétaires”, elle est ainsi très proche de la proposition 52 : “sauver les services publics et les droits sociaux en sortant des règles de limitation des dépenses publiques”. Cela dit sensiblement la même chose, mais a l’avantage de gonfler le nombre de propositions “communes”.
Mais la contradiction arrive. La proposition 61 consiste à “inscrire dans le droit Européen que le non-respect du Pacte de stabilité et de croissance, ne peut entraîner l’exclusion de la zone Euro.” On ne voit pas bien pourquoi ajouter dans le droit Européen une mention à un traité abrogé, mais peut-être qu’on a mal compris, car la proposition 24 réclame d’ “adopter une méthode de calcul du déficit public n’incluant pas les dépenses dirigées vers la bifurcation écologique”.
Alors, ces règles sur le déficit public, on les garde, on ne les garde pas ? Difficile de condamner en bloc des traités que tous leurs partis ont soutenus, à un moment ou un autre. Seuls les communistes se sont systématiquement opposés aux traités austéritaires.
Abandonner définitivement la souveraineté budgétaire ?
La proposition 60 consiste à “mutualiser les dettes des pays de la zone Euro” et les auteurs assument le fait que cela impliquerait un “ministère des Finances de la zone Euro”. Il s’agit d’un abandon de souveraineté terrible, qui consiste à livrer pied et poings liés les finances de l’État à l’Union Européenne, le parti pris de cette proposition est définitivement fédéraliste.
Cependant, là encore, l’unité se fracture. La suite de la proposition demande comme “première étape”, pas plus acceptable selon nous, de créer une agence européenne de la dette chargée de gérer la dette de manière “non mutualiste”.
Pas touche aux monopoles bancaires !
Les jeunes NUPES rêvent de créer des banques. La proposition 59 veut autoriser la BCE à prêter aux États. La proposition 88 veut “transformer la Banque européenne d’investissement pour lui permettre d’investir massivement dans la planification écologique en travaillant en lien avec la Banque centrale européenne”. Y en a un peu plus, j’vous l’mets quand même ; la proposition 19 veut “créer une banque européenne pour le climat et la biodiversité, qui pourra prêter aux États et à l’économie réelle”.
Alors, c’est joli, mais les grandes absentes de tout ça, ce sont les grandes banques ! Les Société Générale et BNP, banques structurelles au niveau mondial, que les communistes veulent nationaliser et intégrer dans un grand pôle public bancaire… C’est un peu plus ambitieux que de créer de nouvelles banques à partir de rien sous l’égide de l’UE, mais ça nécessite une vraie confrontation avec le capital.
Que leur proposent les jeunes NUPES à ces grandes banques ? Séparer les banques de détail des banques d’investissement (proposition 73), interdire “progressivement” la titrisation des crédits bancaires (proposition 76) et mettre en place un système commun de réassurance de garantie des dépôts (proposition 74). En clair, ils veulent de simples mesures de régulation capitaliste d’urgence pour empêcher la crise de 2008. Désolé Marty McFly, elle a eu lieu.
Sauver la planète par l’économie de marché ?
Attention, tour de magie. Au fil des 166 mesures, il y a une grande constante méthodologique : toute la transition écologique repose sur la taxation du carbone et la régulation d’un marché des droits à polluer, dans le plus pur style libéral.
La proposition 2 défend la “taxation du carbone aux frontières”, comme la proposition 3, qui veut “réformer et élargir le Mécanisme d’ajustement Carbone aux Frontières afin d’assurer une taxe carbone conforme aux objectifs de l’Accord de Paris”. Tout comme la proposition 5 qui veut “revoir le fonctionnement libéralisé du marché de l’électricité et du carbone”. La proposition 6 veut “taxer les pratiques climaticides” et la proposition 71 veut “mettre en place une taxe socio-environnementale aux frontières de l’Union européenne”.
La proposition 92 revendique de “réformer le système d’échange des quotas d’émissions de l’Union européenne”, enfin la proposition 93 veut, tout de même, “abroger l’extension du marché carbone au transport et au logement des ménages qui pénalise les classes populaires”.
Ouf ! Après avoir lu tant de redondances sur la taxe carbone et le marché des droits à polluer, on pourrait croire que les jeunes NUPES adhèrent à la prétendue solution libérale d’une régulation de la pollution par le marché. Heureusement, il n’en est rien. Arrive la proposition 94 “À terme, l’objectif est de sortir de la logique de marché et du droit à polluer.”
Pour un consensus, c’est un consensus ! De la solution alternative proposée, on ne saura rien.
Éloigner la protection sociale des citoyens
La proposition 34 consiste à “créer une allocation d’autonomie pour les jeunes européen.nes entre 18-25 ans.” et la proposition 40 à “créer un revenu de solidarité actif (RSA) européen à partir de 18 ans. Ce revenu devra être supérieur ou égal à 60 % du revenu médian de chaque État membre.”
Ces mesures consistent à confier à l’Union Européenne la protection sociale, donc à l’éloigner des réalités locales. Il s’agit d’abord d’un transfert de plusieurs milliards d’euros de budget de l’État vers l’UE, mais surtout d’une négation des réalités différentes des peuples européens. Une allocation européenne de 18 à 25 ans uniforme est-elle pertinente quand les Suédois quittent le domicile parental à 19 ans en moyenne et les Italiens à 33 ans ?
Derrière ces propositions se cachent à la fois une ambition fédéraliste, et l’adhésion au très libéral projet de revenu universel. Les communistes y opposent un projet de sécurité sociale, où les travailleurs cotisent pour se protéger mutuellement, en assurant une continuité des revenus dans tous les moments de la vie, sans s’en remettre à un revenu universel versé par l’État qui a surtout pour but de diminuer le montant du salaire dû par l’employeur pendant les périodes d’emploi.
Qu’en conclure ?
À la fin d’une lecture fastidieuse, l’impression qui se dégage de ce programme est celle d’une répétition poussive de propositions identiques, puis de retours totalement contradictoires sur les mêmes sujets. Manifestement, l’opération de communication visant à annoncer le nombre maximal de positions communes a impliqué de sacrifier la cohérence, l’inflation de proposition masquant mal les désaccords de fonds.