Instaurée avec la loi dite d’Orientation et Réussite des Étudiants en 2018, la plateforme Parcoursup est devenue l’instrument de la sélection aux portes de l’enseignement supérieur français. Cinq ans après, les enseignants comme les familles ont dû se faire au casse-tête des exigences de l’algorithme encore très opaque et décisionnaire de l’orientation des néo-bacheliers.
Des professeurs en difficulté
« Nous ne pouvons plus agir sans tenir compte de la décision de la machine. » explique une syndicaliste enseignante dans un lycée d’Albi (81). « Chaque note qui sanctionne un élève peut être une épée de Damoclès, voire un coup fatal pour son orientation. Certains collègues se retrouvent à évaluer à la hausse pour ne pas pénaliser trop lourdement les élèves. Mais pour beaucoup, s’ils n’ont pas fait le choix de LA bonne matière, LA bonne option, c’est déjà fichu pour eux. » ajoute -t- elle.
La mise en place d’une véritable stratégie pour réussir l’orientation de ses enfants est même devenue un marché auprès d’une clientèle aisée :
« On peut connaitre des astuces pour définir bien à l’avance l’orientation souhaitée, mais comment voulez-vous faire prendre conscience à un lycéen de quinze ans que les décisions qu’il prend auront un impact majeur sur sa vie à venir ? Cela reste bien souvent à l’entière responsabilité des parents qui doivent assumer cette pression, et certains paient pour des conseils avisés, mais encore faut-il pouvoir se le permettre. Ce type de prestation, c’est parfois comme une prépa privée ».
Les ravages du baccalauréat à la carte sauce Blanquer ne goute guère mieux façon Ndiaye, combiné au cocktail trouble des algorithmes sélectifs. Une bureaucratie devenue indigeste pour les familles et intenable pour les enseignants qui voient leur travail enjambé par une sélection définitivement injuste. Et cela ne s’arrête pas une fois la porte de l’Université franchie.
Une poursuite de la logique sélective en master
Mon Master, la plateforme grande sœur de Parcoursup, fait son arrivée pour la rentrée 2023. Si le dispositif n’est présenté que comme une harmonisation de l’orientation et une visibilité accrue sur la pluralité des formations, il s’agit encore d’une mise en concurrence accrue des étudiants les uns avec les autres.
Comme pour la plateforme post-bac, Mon Master s’appuie sur des attendus qui doivent être définis par les équipes pédagogiques. Du côté des enseignants, c’est une nouvelle contrainte qui altère leur méthode d’orientation. « On n’aura plus le même suivi avec nos étudiants », témoigne une enseignante-chercheuse en sciences sociales à Toulouse.
« Auparavant, nous devions prendre du temps en amont, pour définir les sujets de recherche qui allaient accompagner nos étudiants tout au long de leur cursus. Nous pouvions commencer à élaborer ces sujets dès la 3e année de licence, et ces derniers exigent de notre part un intérêt sérieux. Maintenant, nous n’avons aucune certitude quant à ce que ces étudiants terminent bien inscrits chez nous. C’est un travail bâclé pour eux comme pour nous, et une perte pour les vocations qui risquent de se voir interrompues par l’action d’un algorithme ».
Repenser l’orientation
La technocratie s’est une nouvelle fois substituée à un accompagnement au fil de l’eau et à l’expertise enseignante.
Le rôle essentiel des enseignants dans l’orientation et l’accompagnement des apprenants subit fortement les décisions politiques du gouvernement. Non sans une hostilité affichée à l’égard de la liberté d’orientation comme de la liberté pédagogique, les deux gouvernements successifs de Macron ont modelé un enseignement supérieur conforment à la précarité généralisée dans l’éducation et le travail.
Repenser l’orientation est une mission primordiale, à concerter avec les acteurs de l’éducation et les jeunes pour permettre une formation émancipatrice et porteuse d’avenir.