Fabien Roussel, reconduit à la tête du Parti communiste français en avril dernier, a pris une place forte dans la contestation contre la réforme des retraites. À travers cet entretien, il livre des réponses concernant la réforme des retraites, la nécessité de renforcer le PCF pour renforcer la gauche, d’avancer dans la bataille des idées sur un certain nombre de sujets aujourd’hui délaissés par d’autres forces.
Depuis 4 mois, une partie importante de la jeunesse s’est engagée dans la lutte contre la réforme des retraites. Pour l’instant, elle n’a reçu que le mépris du gouvernement. Reste-t-il selon toi des perspectives de victoires dans ce combat ?
Être communiste, c’est être optimiste et combatif. Donc oui, on doit être optimiste et continuer à rester déterminé sur cette bataille des retraites. Alors, c’est difficile, c’est sûr, parce qu’on n’a jamais connu sous la V° République un Président aussi dur et méprisant. 4 mois de mobilisations, 13 manifestations, avec des records à chaque fois, ¾ des Français qui y sont opposés, pas de vote à l’Assemblée nationale, un rejet probable le 8 juin… On n’a jamais connu ça !
Alors ça peut refroidir les plus déterminés, et je le comprends, mais il faut rester combatifs. Et puis, derrière le combat sur les retraites, c’est le combat pour l’emploi et pour les salaires qui se jouent. Et donc toutes les grèves dans les entreprises pour augmenter les salaires ou pour maintenir l’emploi, comme à Vertbaudet ou à Valdunes, sont des combats qui nous servent aussi dans cette bataille pour les retraites. Donc combatifs et optimistes.
Face à ce sentiment de ne pas être écoutés, une partie des jeunes mobilisés sont en quête d’une plus grande radicalité, quitte à user de la violence. Que peut-on dire à ces jeunes ?
D’abord, il faut dire que les responsables politiques de gauche et les syndicats ont alerté sur le fait que si le Président ne répondait pas à la colère qui s’exprimait, s’il ne respectait pas la démocratie, cela engendrerait de la violence. On y est.
Une partie des manifestants, une minorité, se dit que si on n’est pas entendu pacifiquement, il faut devenir violent. C’est grave ! Moi, je ne cautionne pas cette violence, et je dis même qu’elle affaiblit les revendications et le mouvement social. Ce n’est pas la solution.
Il faut s’attaquer au problème, et le problème, c’est ce gouvernement, qu’il faut réussir à faire reculer par des voies démocratiques et pacifiques. Cela veut dire qu’il faut continuer à parler aux Français, aux travailleurs, aux travailleuses, pour les inciter encore à se mobiliser.
Au contraire, quand la violence s’invite dans les manifestations, y compris contre les syndicats, les partis et les manifestants, les commentaires des médias ne font que tourner autour de la violence. Et cela ne nous fait pas avancer d’un iota. Au contraire, cela nous affaiblit.
Côté débouchés politiques, on peine à voir qui sortira gagnant de cette séquence. Le RN est encore très haut, et la gauche ne semble pas faire de réelle percée. Pourtant, ce n’est pas l’extrême droite qui a été au cœur de la mobilisation sur les retraites. Comment analyses-tu cela ?
Certains pensent que les Français qui manifestent sont « le peuple de gauche ». Je ne le pense pas. Beaucoup défilent pour la première fois. Certains ne votent plus, ou ne votent pas. D’autres encore votent pour le RN.
Gardons-nous des mauvaises analyses comme après le vote contre le Traité constitutionnel européen en 2005 (que les Français avaient rejeté par référendum — NDLR). Je crois que nous nous étions trompés en pensant que les 54 % qui avaient voté « non » étaient tous des antilibéraux. De la même manière, tous ceux qui s’opposent à la réforme des retraites ne sont pas des électeurs de gauche. Sinon, les sondages ne nous mettraient pas à 25 %, mais plutôt à 70. Il faut en avoir conscience, et travailler cette contradiction qui existe.
Une partie des travailleurs votent pour le rassemblement national, y compris dans les manifestants. Je pense que parmi eux, une grande partie souhaite qu’il y ait de meilleurs salaires, et plus d’emplois. Et ça, c’est totalement absent du programme du RN. Leur programme, c’est de supprimer les cotisations sociales, ils veulent donc la fin de la sécurité sociale.
Les Français ne connaissent pas le programme du RN. Ils voient un parti qui est très haut, et qui serait aujourd’hui le plus à même de battre Macron. Il faut alors qu’on aille sur le fond, que l’on parle de salaire, d’emploi, de cotisation et de notre projet de réforme à 60 ans. C’est essentiel de mener le débat sur la répartition de la richesse créée par le travail.
Est-ce que sur cette stratégie, il y a une divergence avec les autres forces de gauche ?
Non, il n’y a pas de désaccord de fond entre nous sur le sujet. Il y a des nuances. Dès le début, les forces de gauche se sont montrées unies sur les retraites.
Ce que je propose, c’est d’élargir la base aux syndicalistes, mais aussi aux élus, qui se sont engagés contre la réforme des retraites au fil des semaines. Je pense à tous ces parlementaires qui ont signé la demande de RIP. On est 150 de la NUPES, mais 252 parlementaires ont signé. Donc ces 100 parlementaires de plus, il faut pouvoir travailler avec eux. Mais je pense aussi à des élus locaux, de gauche et divers gauche, qui ne sont pas membres de la NUPES. Il faut les associer.
Si toutes ces forces-là étaient mises dans la bataille, nous pourrions proposer une votation citoyenne. Le Conseil constitutionnel nous a refusé le RIP, organisons-le ! Mais cela nécessite une telle organisation que nous devons être les plus nombreux possible.
C’est donc ça le « nouveau front populaire » que le PCF appelle de ses vœux ?
Exactement. Ayons un front le plus large possible des forces politiques et de progrès social et des syndicats, dans le respect du rôle de chacun. Nous pouvons avoir des actions communes, comme l’organisation de cette consultation citoyenne.
Et donc, ce front, il doit être sans exclusive ? Personne n’est disqualifié à priori à gauche pour parler des retraites ou des questions sociales ?
Aujourd’hui, il y a un slogan qui nous réunit, c’est le retrait de la réforme. Ce mot d’ordre là doit être celui qui nous réunit. Sans exclusive, et sans demander un diplôme de révolutionnaire parfait pour participer à cette campagne.
Prenez le groupe LIOT. Dedans, il y a des députés centristes, mais qui sont opposés à cette réforme. Est-ce qu’on se prive de leur concours ? Moi je dis que non, parce que notre objectif, ça doit être la victoire. C’est ça que les manifestants demandent. Ils ne nous demandent pas de nous diviser pour savoir quelle réforme on voudrait, sinon la CFDT et la CGT n’auraient jamais manifesté ensemble.
Et comment, alors, convertir cette unité en une véritable alternative à Macron ?
D’abord, pour être une vraie alternative à Macron, on a besoin d’une victoire, c’est-à-dire le retrait de la réforme. Et si la gauche est le moteur de cette victoire, en étant les plus rassembleurs, les plus ouverts, ça nous ouvrira des perspectives.
Parlons à présent un petit peu de toi. Depuis ta candidature à la présidentielle, tu bénéficies d’une bonne popularité à gauche, mais aussi sur le terrain, comme on le voit lors de tes déplacements. Mais il y a un endroit où tu es moins populaire, c’est sur Twitter. Comment expliques-tu ce décalage ?
Honnêtement, je me contrefous de ce qu’on pense de moi sur Twitter. La vie, ce n’est pas Twitter, et heureusement. J’y participe parce que c’est un passage obligatoire. Et si certains veulent l’utiliser pour me descendre, qu’ils le fassent, s’ils ont le temps pour ça.
Je souhaite parler à tous les Français et à toute la société. Je veux parler à tout le monde, en partant de ce que les gens ont dans leur tête, et donc des questions qu’ils me posent. Ça m’amène à parler de certains sujets, comme la sécurité, les « allocs », les frontières… Je pars de ce qu’ils me disent, pour ensuite amener des propositions qui sont celles du PCF, en tentant humblement de les convaincre.
Alors, bien sûr, les puristes me taxeront d’emprunter les mots de la droite comme la sécurité. Moi, je le conteste. C’est la droite qui a tué notre politique de sécurité intérieure, qui a démantelé notre police. C’est Sarkozy qui a fait ça. La gauche doit prendre ce sujet à bras le corps.
Et puis je conteste l’idée selon laquelle parce que certains mots sont utilisés par la droite et l’extrême droite, on ne peut plus les utiliser. Donc il ne faut plus parler de « produire français », de souveraineté ? On a plus le droit de parler de « frontières » pour protéger nos usines et empêcher l’évasion fiscale ?
Mais alors, qu’est-ce qui a changé pour qu’aujourd’hui, certains soient choqués qu’un homme de gauche puisse parler comme cela ?
Il y a des sortes de censeurs à gauche qui prétendent nous dicter les mots que nous pouvons employer ou non. Eh bien moi, je veux employer les mots que les Français emploient, je veux parler la même langue qu’eux. Et c’est peut-être la différence que j’ai avec ces gens, qui vivent en vase clos dans les beaux quartiers parisiens et qui vivent dans un microcosme « mondain » qui n’est pas le mien.
Qu’ils viennent faire des permanences dans le Nord avec moi chaque semaine et on verra s’ils parlent la même langue que les Français, et donc la mienne !
Donc l’objectif, c’est de se réapproprier des sujets sur lesquels on n’entendait plus la gauche, c’est ça ?
On ne peut pas d’un côté se plaindre que la gauche ne parle qu’aux intellectuels, aux cadres et à la classe moyenne, pleurer sur la classe ouvrière qui vote à l’extrême droite et de l’autre côté nous dire qu’on est de droite quand on parle en utilisant leurs mots.
Mon objectif, c’est de convaincre la grande partie du monde du travail qui ne vote plus de renouer avec le vote et de voter à gauche. C’est aussi de convaincre ceux qui parmi eux votent à l’extrême droite que le RN n’a pas la réponse. Mais peut-être que je me trompe. Je suis très humble face à cela, j’essaye juste de comprendre pour trouver une solution et raccrocher ces gens-là à la gauche.
Parmi les « mots qui fâchent », il y a celui de souveraineté, que les communistes ont beaucoup mise en avant ces derniers temps. Pourquoi est-ce un enjeu à gauche ?
Parce que pour nous, la souveraineté, c’est la souveraineté économique et démocratique, c’est-à-dire le fait d’être libres de nos choix politiques. Une nation, c’est un pays, un peuple, qui fait des choix démocratiques. Et on doit respecter ces choix. Je conteste le carcan européen, qui nous empêche d’exercer notre souveraineté démocratique. Les traités européens ultralibéraux portent atteinte à notre démocratie et à notre souveraineté. Et puis, il y a la souveraineté économique. On ne doit pas retirer à un pays le droit de protéger ses services publics, ses entreprises et son modèle social.
Or, la Commission européenne nous le conteste, comme avec l’amende de 5 milliards d’euros réclamés à la France pour avoir financé le fret SNCF. Je pourrais aussi parler de l’évasion fiscale. Au nom de l’Union européenne, on n’a pas le droit de mettre sur la liste des paradis fiscaux des pays comme le Luxembourg.
Nous ne sommes pas pour un repli nationaliste, nous sommes pour une Europe qui respecte chaque nation, et que celles-ci coopèrent entre elles au service du progrès humain. C’est quand même une tout autre logique que ce qui a préfiguré la construction européenne. Redonnons le sens progressiste qu’il y a derrière les mots de nation, de souveraineté, de respect des peuples, qui sont au centre de notre engagement communiste, car nous sommes un parti internationaliste.
Et pour toi, quel est le sens progressiste que l’on peut donner aux mots « sécurité » et « police » ? Avec les violences observées dans les manifestations ou contre les grévistes, on peine parfois à le percevoir…
J’ai rencontré de jeunes policiers, des gendarmes, certains étaient même membres de la JC, qui m’ont fait part des difficultés de leur métier, et aussi du dévoiement de leur profession par les derniers gouvernements. C’est pour ça que je n’en veux pas aux policiers. J’en veux à leur hiérarchie, aux préfectures et aux politiques de maintien de l’ordre. La police est utilisée contre le peuple.
Ce n’est pas la faute des policiers, mais de l’usage qui est fait des forces de l’ordre. Souvent, derrière les policiers, ce sont des jeunes hommes et jeunes femmes, mal payés, qui sont envoyés au feu pour taper contre leurs frères, leurs camarades, leurs amis et leurs familles. C’est ça, quand même la réalité, il faut les écouter.
Je sais qu’il y a des policiers qui ont la matraque lourde. Il y a aussi des violences policières, et il faut les condamner. Je souhaite qu’il y ait une instance indépendante qui puisse contrôler leurs agissements, et que les coupables soient condamnés. Ils n’ont rien à faire dans la police. De la même manière, il y a du racisme chez certains. Ça existe, mais il y en a beaucoup qui ont du respect pour la profession qu’ils exercent, et qui demandent à pouvoir l’exercer dans de bonnes conditions. Donc, ils veulent plus de moyens, une autre politique de maintien de l’ordre et du soutien.
Une fois qu’on a dit ça, on ne peut pas parler de sécurité sans parler de services publics, de bien vivre, de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, de moyens pour les écoles, pour le sport, la culture… Et donc de moyens pour nos communes. Cela va de pair, et je l’ai toujours dit.
Sur d’autres sujets, les positions des communistes sont mal connues ou caricaturées. Certains peinent parfois à voir en quoi nos positions sont révolutionnaires. Quelles mesures dans le programme du PCF portent une rupture réelle avec le capitalisme ?
Donner le pouvoir aux salariés dans les entreprises et permettre que chacun puisse se réapproprier son outil de travail pour prendre les grandes décisions : comment produire les richesses, comment les répartir, etc. C’est pour moi la grande révolution que l’on doit mener : redonner du sens au travail. Alors, quand j’ai dit ça, c’est pareil, on m’a encore dit que j’étais de droite et que je parlais comme Wauquiez (rires). Mais pas du tout, c’est le contraire ! Je veux donner un sens révolutionnaire au travail.
Imaginez la révolution quand demain les salariés pourront parler d’égal à égal avec le capital sur les choix de l’entreprise pour décider. C’est là que l’on va pouvoir embaucher, rénover l’outil de travail, augmenter les salaires, mais aussi baisser le temps de travail, réparer les inégalités femme homme. C’est la grande révolution que nous devons faire, une révolution sociale qui permette de donner le pouvoir aux salariés dans les entreprises, y compris dans le secteur public. Nous sommes les seuls à le proposer aussi fortement.
Tu parlais en début du besoin d’unité. Est-ce qu’on peut être rassembleur tout en étant révolutionnaire ?
Les Français attendent vraiment un changement et de la justice sociale. Nous devons proposer notre projet de société aux Français, mais nous devons aussi construire avec les autres forces de gauche un programme qui doit être le plus commun possible, le plus transformateur et qui ne décevra pas. J’ai conscience que pour pouvoir l’emporter, nous devons nous unir, et certainement qu’on ne mettra pas en place tout le programme que le PCF propose. Mais ce sont les Français qui décident. Il faut leur laisser la possibilité de choisir, c’est pour ça qu’il y a deux tours aux élections, pour qu’ils puissent donner de la force au projet qu’ils préfèrent.
Tu as été réélu Secrétaire national du PCF en avril dernier. Quels objectifs fixes-tu à l’organisation et sur quoi veux-tu que l’on juge ton action ?
D’abord, je veux des victoires. Je reviens là-dessus, mais on a besoin de gagner ensemble. On n’adhère pas au PCF pour se faire plaisir, on a une exigence : que ça change ! Et donc il faut qu’on arrive à gagner, et pas qu’aux élections, dans tous les combats, dans toutes les luttes. Je voudrais être jugé sur le travail qu’on aura fait pour rassembler largement pour gagner.
En termes d’organisation, il faut que nous arrivions à reconquérir un grand nombre d’adhérents et expliquer aux Français qu’on a besoin d’un PCF plus fort. C’est la condition pour avoir une gauche plus forte capable de dépasser son plafond de verre de 25 %. L’extrême droite est forte dans le pays ? Alors il faut un PCF plus fort. C’est pour ça que nous nous fixons comme objectif de gagner 10 000 adhérents dans le mandat qui s’ouvre. C’est ambitieux, mais c’est l’engagement que je prends vis-à-vis des adhérents, avec un pôle organisation au sein du parti qui va être très fort.
Le renforcement des idées communistes passe aussi par le renforcement du Mouvement jeunes communistes de France. Le PCF a fait le choix lors de son congrès de réaffirmer l’indépendance du MJCF. Pourquoi est-ce si important pour toi ?
Que la jeunesse s’empare des débats de société, qu’elle participe elle-même à la construction d’une nouvelle société, c’est essentiel. Quand je parle des abstentionnistes, il y en a une grande part chez les jeunes. Et ça ne veut pas dire que les jeunes ne se préoccupent pas des questions politiques, d’égalité femme homme, de climat, de lutte contre le racisme. Ils ont des exigences, ils veulent être utiles, participer. Pas tout le monde, mais beaucoup. Mais ils ne votent pas, ou ne s’engagent pas. C’est important alors de leur montrer le rôle d’une organisation politique de jeunesse comme le MJCF pour être pleinement acteur. Et donc il faut leur proposer l’adhésion à chaque fois.