A l’image de la société patriarcale, l’espace public est un espace genré. Dans tous les domaines (urbanisme, transports publics, etc.) l’espace public est donc un espace sexiste.
L’urbanisme au sein des enjeux féministes
Il n’est pas à prouver que le sexisme sévit dans tous les milieux sociaux, que ce soit au sein d’un foyer, au travail ou encore sur les lieux scolaires. Il est à noter que l’espace public, (entendons les lieux de déambulation, de détente, de transport…) n’est pas isolé du patriarcat et de ses conséquences sur la vie des femmes. Harcèlement de rue et agressions sont perpétrés dans des endroits où chacun et chacune devrait évoluer sans être importuné.e ou en danger.
Pour lutter contre cela, il faut s’interroger sur l’aspect urbanistique et sociétale des villes : comment les lieux publics permettent les pratiques et les violences sexistes ? En quoi sont-ils des espaces que l’on pourrait qualifier de masculin ?
Et ça commence dès le plus jeune âge
Il faut tout d’abord rappeler une chose : l’éducation joue un rôle primordial dans cette répartition de l’espace public entre hommes et femmes. Dès leur plus jeune âge, on apprend aux petites filles à se méfier de la ville, des rues, surtout la nuit. Arrivées à l’âge adulte, il est donc très difficile pour elles de se réapproprier l’espace public, puisque cette peur est ancrée en elles depuis leur enfance.
Ainsi, la plupart des femmes utilisent la rue dans un but pratique, pensant leur tenue en fonction de l’heure et du trajet qu’elles ont a réaliser. L’éducation occupe donc une place primordiale : on va plus facilement apprendre aux filles à rentrer tôt, accompagnée, à éviter certaines zones qu’aux garçons à les respecter. Il faut avant tout former les enfants pour éradiquer le sexisme dès l’école.
En effet, l’analyse des comportements dans les cours d’école nous apprend que la majorité de l’espace de récréation est occupé par les petits garçons. La question de l’appropriation spatial commence donc dès le plus jeune âge.
Un sujet étudié
De plus en plus de géographes et d’urbanistes comme Chris Blache, Edith Maruéjouls ou Audrey Noeltner, s’interrogent sur ce sujet : comment faire des lieux publics des espaces mixtes, égalitaires et antisexistes ?
Yves Raibaud est géographe et chercheur au CNRS. Il réalise avec son équipe plusieurs études sur des villes comme Paris, Bordeaux et Montpellier afin de comprendre les enjeux de ces inégalités. Il conclut alors que le problème s’axe sur deux aspects. D’une part, les équipements de loisirs consacrés à la jeunesse, qui sont au sein de la société patriarcale, réservés aux garçons (skatepark, terrain de foot…) Même si évidemment ces sports sont mixtes, les filles sont socialement rejetées de ses espaces, servant à canaliser une soi-disant violence des garçons. D’autre part, Yves Raibaud note également l’absence considérable de femmes occupant des postes importants dans l’aménagement urbain de la ville. Chris Blache, fondatrice de l’association Genre et Ville, déplore, quand à elle, le manque de mobilier urbain. En effet, les femmes, dans leur utilisation de l’espace public, sont actives, marchent vite, avec un objectif, un but précis dans leurs déplacements. La multiplication de mobilier urbain, comme des espaces verts, des bancs -que les mairies s’appliquent à supprimer pour empêcher les squats de SDF-, permettraient d’apporter à l’espace un aspect de détente, où l’on peut s’arrêter, espace aujourd’hui présent, mais largement occupé par les hommes. Il s’agit alors d’appréhender l’espace urbain différemment, et de susciter un aspect contemplatif, une envie de s’attarder dans des endroits accueillants et sécurisants.
Transports en commun : le lieu de tous les dangers
Il en est de même pour les transports en commun, où ont lieu la plupart des cas de harcèlement de rue. Tout le monde peut en faire l’expérience : bus et métros sont, et notamment à partir d’une certaine heure, en majorité occupés par des hommes. Un simple exemple confirme cette appropriation : il s’agit du manspreading, position typiquement masculine, où la personne étale ses jambes, écarte ses cuisses, s’attribuant physiquement l’espace commun. Les femmes, en plus d’être confrontées à ce manque d’incivilité, subissent aussi le harcèlement de rue (remarques sexistes, attouchements…) directement dans les transports, sur des trajets parfois longs. Pour la question des transports, plusieurs moyens de luttes ont été mise en place, surtout après l’étude du Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes (16/04/2015) selon laquelle 100% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexiste au cours de leur vie. Campagnes de sensibilisations, formations des agents, condamnations des agresseurs, l’oppression des femmes au quotidien semble être désormais prise au sérieux.
Urbanisme, futur enjeux de lutte féministe
Envisager l’aménagement urbain est un enjeu de la lutte contre le sexisme quotidien dans la lutte anti-sexisme. La ville cristallise physiquement la société et ses problèmes. Par exemple, seules 2% des rues de France portent le nom de femmes illustres (selon une étude de l’ONG Soroptimist), c’est dire la place que l’on accorde, dans l’histoire et par conséquent dans la postérité, à ces dernières. Tout repose sur une réappropriation de l’espace public par les femmes, depuis trop longtemps écartées de ce dernier. Cela passe, à court et moyen terme, par un réaménagement urbanistique, pensé selon les problématiques rencontrées au quotidien, mais aussi, et plus important encore, à long terme, par une refonte de la société, passant par une éducation anti-sexiste et féministe pour tous et toutes. En effet, les urbanistes réfléchissant à la nouvelle ville ne peuvent modifier les comportements, les schémas patriarcaux, mais ils peuvent permettre une appréhension de l’espace comme vecteur de changement des mentalités, et par conséquent, du cadre de vie.