Note : cet article décrit des scènes cinématographiques de violences sexistes et sexuelles. Il fait le choix de se concentrer sur des scènes de harcèlement ou d’agression en excluant volontairement la question du viol au cinéma. Pour une analyse spécifique des représentations filmiques de ce type de violence, voir le chapitre du livre Le regard féminin qui lui est dédié (Brey, 2020, pp. 83 – 121).
Interroger le cinéma, interroger la société
« Une femme tombe entre les mains d’un chef mafieux dominateur qui la séquestre et lui laisse un an pour tomber amoureuse de lui. ». Ce résumé lapidaire n’est pas celui d’un film pornographique vintage ou d’un roman Harlequin. Il est tiré de la page de présentation d’un des plus importants succès de la plateforme de streaming Netflix. Déconseillé aux moins de seize ans et qualifié de « soft porn » (littéralement : pornographie douce), 365 jours (2020) romantise un scénario de violence physique et psychologique scabreux.
Laura tombe amoureuse de Massimo qui la séquestre pendant un an sur fond de scènes de sexe sadomasochiste. L’immense succès de l’œuvre ne tient pas à ses qualités cinématographiques formelles. Nominée dans la catégorie « Pire film » au Prix Razzie 2021, elle n’obtient finalement que la « distinction » du « pire scénario ». En associant un fort rejet de la critique, un important succès commercial et un imaginaire « idéal type » de la culture du viol, 365 jours s’inscrit dans la droite lignée des sagas Fifty Shades of Grey (2015) ou Twilight (2008).
Cette production n’est pas anecdotique. La sociologie du cinéma considère que l’important succès d’une œuvre auprès du public révèle « un indice sur l’état d’une société dans son ensemble » (Malassinet, 1979). La portée d’un film prend sens au sein de l’univers social en ce qu’il répond à des fantasmes, visions du monde ou problématiques qui lui sont propres.
La construction scénaristique d’un film, mais aussi la manière dont sont filmés et représentés ses personnages portent un discours, parfois normatif, sur les phénomènes sociaux qu’il traite. La romance hétérosexuelle est un des enjeux majeurs mobilisés par le cinéma depuis sa naissance. La segmentation des genres cinématographiques et la recherche toujours plus poussée de « publics niches » débouchent durant les années 1970 sur l’invention de la comédie romantique, à destination d’un public « réputé féminin » (Pinto & Mary, 2021, p.44).
Fabriquer les imaginaires, fabriquer l’hégémonie
Le plébiscite de soft porns violents par un public majoritairement jeune et féminin interroge les transformations culturelles opérées par les combats contre la domination masculine. Des militantes et théoriciennes n’hésitent pas à parler « d’ère post-Weinstein » (ou post-metoo) pour qualifier la singularité de notre époque qui met en lumière les violences sexistes propres à l’espace privé hétérosexuel. La libération de la parole des femmes ne semble pas pour autant contester l’hégémonie d’un imaginaire patriarcal à destination du grand public.
Depuis ses origines jusqu’à nos jours, la représentation de la romance hétérosexuelle au cinéma (particulièrement à destination du grand public) développe un regard ambigu sur les violences sexuelles et le consentement féminin. Ces représentations ne sont pas uniquement le reflet passif d’une domination masculine concrète. Elles participent à la reproduire en structurant les imaginaires et les attentes des individus en matière de relation romantique et sexuelle.
Interroger le discours du cinéma sur les violences sexistes et les rapports hommes – femmes devient donc un mouvement de dévoilement des mécanismes idéologiques du patriarcat.
Une représentation du harcèlement sexuel au service de la domination masculine. De Franck Capra à Fifty Shades of Grey
Le cinéma n’a jamais été muet quant au harcèlement sexuel subi par les femmes. Produit en 1908, le film A Very Fine Lady (4 min) représente une protagoniste « trop belle » pour ne pas être harcelée. Son passage provoque catastrophes et disputes conjugales jusqu’à son interpellation par des policiers qui l’accompagnent à destination en la couvrant de leurs vestes. Le harcèlement est ici présenté sous un aspect drolatique. Il est considéré comme la conséquence naturelle de la beauté de la passante.
Rapidement le cinéma développe également une vision négative du harcèlement sexuel. Nous retrouvons cette perspective dans le film It happened one night (1934) du réalisateur états-unien star de la première moitié du XXe siècle, Frank Capra.
Du chevalier servant de Capra au mâle dominant de Twilight
It happened one night est un film humoristique suivant la romance naissante entre une riche héritière en fuite (Ellie Andews) et un journaliste sans le sou (Peter Warne). La jeune femme s’échappe de sa prison dorée pour rejoindre un fiancé que son père refuse. Appâté par le gain, Peter accepte d’aider Ellie à traverser sans encombre les États-Unis de la Grande Dépression en échange de son histoire en exclusivité. Les deux personnages dépassent peu à peu leurs différences de classe et leurs forts caractères pour tomber amoureux l’un de l’autre.
Ellie refuse d’abord l’aide de Peter qu’elle juge grossier. Son soutien alors qu’elle se fait harceler dans le bus la pousse à finalement accepter le marché proposé par le jeune homme. La scène de harcèlement permet ainsi à Ellie de constater la nécessité d’une présence masculine dans le voyage clandestin qu’elle entreprend. L’altercation est filmée depuis le point de vue de Peter, ce qui permet au public de constater sa bienveillance vis-à-vis d’Ellie. La représentation négative du harcèlement sexuel perpétré par un antagoniste permet ici de valoriser le protagoniste masculin.
Ce mécanisme de dénonciation de violences sexuelles à l’écran à la faveur d’un « héros » est répété dans de nombreux scénarios. Il impose à l’héroïne du teen-movie Clueless (1995) d’appeler Josh à l’aide, ou encore démontre le profond attachement d’Edward à Vivian dans Pretty woman (1990).
Le leitmotiv est poussé à l’extrême dans le premier opus de la saga Twilight (2008). Après une journée en ville sans ses amies de lycée, Bella part seule se procurer un livre sur les légendes de la tribu indienne des Quileutes. La nuit est tombée, la protagoniste marche seule dans les ruelles embrumées. La scène reprend exactement le stéréotype imaginaire du viol par des « rodeurs » décrit par Valérie Rey-Robert :
« L’idée la plus répandue au sujet du viol est celle qu’il serait le fait d’un homme pauvre, souvent difforme, laid, au QI plutôt très bas, qui violerait d’innocentes, pures et jolies jeunes femmes dans un parking tard la nuit sous la menace d’un couteau. » (2019, p.134).
Bella se heurte aux silhouettes diffuses d’un groupe d’hommes qui entreprennent de la suivre puis de l’interpeller. Ils boivent des bières en cannette, rient grassement, sont habillés de joggings, de vestes larges, portent des casquettes. Ils encerclent la protagoniste, incapable de se dégager de leurs approches de plus en plus persistantes. Elle tente de fuir en frappant l’un d’entre eux à l’entre-jambes. Alors que le spectateur attend anxieusement la réponse violente du groupe, Edward intervient, au volant d’une voiture de luxe et met en fuite les agresseurs. Il admet plus tard à Bella l’avoir suivi pour assurer sa sécurité.
Le harcèlement du protagoniste est ici valorisé en ce qu’il permet le sauvetage de Bella à un moment critique. La violence brutale du premier groupe est dénoncée au service d’une autre violence, plus insidieuse, car légitimée et romantisée.
Dénoncer la violence d’outsiders pour légitimer la violence de l’amant
La séquence est reprise quasiment trait pour trait dans le premier volet de Fifty Shades of Grey (2015). Le richissime et sadique Christian Grey localise le téléphone d’Anastasia après qu’elle ait admis être ivre dans un bar étudiant. Sous prétexte de sa sécurité, il décide d’aller la chercher et la sauve des avances d’un ami trop entreprenant.
Le scénario justifie ici encore une intervention masculine tenant également d’un harcèlement autoritaire. Le message de ces deux derniers films est très clair : l’homme surpuissant (millionnaire ou vampire) a tous les droits pour assurer la sécurité d’une femme en danger perpétuel dans l’espace public.
Ce discours est radicalisé par rapport au film de Frank Capra. Même si la logique est similaire, Ellie critique le comportement de Peter qui insiste pour l’aider quand Anastasia et Bella acceptent sans contradiction les interventions de Christian et d’Edward. De plus, le comportement de Peter s’explique par l’appât du gain, lorsque les deux derniers films légitiment la violence par une forme d’amour passionnel irrépressible. Peter ne harcèle pas Ellie, même s’il se montre insistant.
Ces séquences mobilisent paradoxalement un point de vue féminin sur le harcèlement : le spectateur sent le danger avec les femmes, les violences sont dénoncées. Les plans choisis permettent de faire sentir l’impuissance des protagonistes face à la violence masculine et l’angoisse qui en résulte. Clueless filme ainsi son héroïne dans une voiture, coincée physiquement contre la portière par le corps de son agresseur. Twilight enchaîne les plans serrés des visages des agresseurs de Bella pour faire vivre au spectateur une promiscuité dangereuse et imposée. Si le cinéma fait ici le choix de se positionner avec les femmes, ce n’est pourtant que pour valoriser un autre modèle masculin.
La violence n’est qu’un outil scénaristique pour faire avancer l’intrigue et la romance. Ses répercussions sont invisibles sur les protagonistes, les harceleurs et agresseurs disparaissent généralement du scénario après avoir commis leurs méfaits. Dans le cas de Twilight et de Fifty Shades of Grey, la dénonciation d’une violence permet d’en romantiser une autre, celle d’hommes riches et puissants, mus par la passion amoureuse.
On ne dit pas non à Clark Gable ou Ryan Gosling ! Des violences sexuelles légitimées au nom de la romance
Si le cinéma représente sans difficulté un harcèlement sexuel pénible et dangereux pour les femmes, il avance également masqué pour mettre en tension un certain nombre de romances passionnelles. L’histoire du cinéma est ainsi peuplée de séquences considérées par les uns comme le summum du romantisme et par les autres comme des représentations de violence.
Cette ambivalence n’est pas un faux problème : il serait trop rapide de renvoyer les premières analyses à des formes de masculinisme archaïque. Si de nombreuses scènes se trouvent prises dans cette contradiction, c’est que leur ambiguïté est justement construite d’un point de vue filmique et scénaristique.
La construction d’un « Oui » en tension ou d’un « Non » mensonger est propre au regard masculin théorisé par Laura Mulvey (1975). Selon Iris Brey :
« Le male gaze renforce donc une vision patriarcale où les femmes à l’écran (et dans la vie réelle) doivent être soumises au regard des hommes pour que ces derniers éprouvent du désir et du plaisir soit dans la diégèse du film en tant que personnage, soit dans leurs fauteuils au cinéma en tant que spectateurs. » (2020, p.32).
La représentation des violences est particulièrement influencée par cette construction d’une femme-objet regardée et filmée par un homme sujet. Ainsi : « le consentement de la victime doit paraître ambigu pour pouvoir représenter l’agression » (Ibid, p.95). Autrement dit, la violence masculine est rendue tolérable par l’idée souterraine que le refus de la victime n’est que superficiel.
Gone with the wind : une construction scénaristique et filmique qui met en doute le “non”
Cette idée est clairement déployée dans le film Gone with the wind (1936). Scarlett O’Hara est l’héritière d’une riche plantation du sud des États-Unis. La guerre de Sécession balaie son univers : elle part à Atlanta puis regagne la terre de sa famille pour reconstruire leur richesse dans les ruines de la défaite. Elle est courtisée par Rhett Butler qui lui vole un premier baiser alors qu’ils fuient ensemble Atlanta.
Rhett est l’âme sœur de Scarlett, néanmoins elle se refuse à lui, obsédée par son amour adolescent pour Ashley. Ce refus sera le drame de sa vie. Rett décide de l’abandonner à la fin du film alors qu’elle admet enfin son amour pour lui.
Le film construit tout au long de son scénario une complicité entre Rhett et le spectateur. Nous savons avec lui que le refus de Scarlett est un caprice et que tous deux sont faits l’un pour l’autre. La connivence avec un protagoniste masculin clairvoyant est un leitmotiv régulier dans le cinéma qui permet de nier la portée et la véracité de la parole des femmes, notamment sur elles-mêmes.
La scène du baiser est structurée pour mettre en tension le rejet de Scarlett. La séquence oscille entre des plans de résistance de la protagoniste et des plans d’abandon. Cet enchaînement permet de mettre en doute le « Non », pourtant exprimé clairement à trois reprises par Scarlett. Ainsi, si la victime exprime clairement son refus, la construction de la séquence le met immédiatement en doute.
The Notebook : une violence romantisée
Même lorsque la relation représentée prend toutes les caractéristiques du harcèlement sexuel, la romance future peut le légitimer. La persistance du protagoniste, les sacrifices et mises en danger de soi qu’il est prêt à réaliser sont autant de preuves de sa passion et de la grandeur de la relation à venir.
Un exemple particulièrement probant de cette dynamique est la scène d’ouverture de The Notebook (2004). Noah, jeune ouvrier, rencontre Allie, issue d’une grande famille bourgeoise, dans le sud des États-Unis des années 1920. La passion du jeune homme est immédiate : il poursuit la jeune femme à la fête foraine pour obtenir un rendez-vous d’elle. Sur le plan cinématographique, elle est immédiatement placée comme objet de désir passif sous le regard de Noah.
Elle refuse à plusieurs reprises ses avances. Il se jette alors sur la nacelle de la grande roue où elle est installée et reste pendu dans le vide menaçant de chuter si elle n’accepte pas un rendez-vous. Cette première rencontre au milieu des fanfares et des lumières de la fête est filmée de manière fantasmagorique. Le spectateur entre dans le conte d’une histoire d’amour difficile et passionnelle. La force de la relation d’Allie et Noah justifie a posteriori cette première séquence de harcèlement.
(Au cinéma) les femmes ne savent pas ce qu’elles veulent
Les violences sexuelles aux cinémas sont dans le cadre de la romance justifiée par un bien supérieur à la volonté de la victime : la passion, la puissance des sentiments masculins. La figure de la protagoniste incertaine de ses choix amoureux permet également de semer le doute quant à la violence véritable de l’agression ou du harcèlement.
Incarnés par les sex-symbols de leurs époques respectives, Rhett et Noah n’imaginent pas le « Non » comme une réponse acceptable. Le pouvoir du cinéma est ici d’entraîner le spectateur ou la spectatrice avec eux, niant ainsi l’agentivité et l’autonomie du personnage féminin. Fifty Shades of Grey, en rendant tolérable la soumission contractualisée d’Ana à des pratiques de domination sadique et totalitaire, pousse particulièrement loin cette dynamique.
Cet archétype trouve enfin son achèvement dans la figure de la femme lunatique : dans Breakfeast at Tiffany’s (1961) le rejet de Paul par Holly n’est qu’un symptôme de sa souffrance et de sa folie.
Jouir de la souffrance des femmes : la violence sexuelle comme désir de puissance
La violence masculine est dénoncée lorsqu’elle est le fait d’un antagonisme. Elle permet alors de valoriser une masculinité héroïque, parfois elle-même perpétuatrice de violence. Le protagoniste, au contraire, a tous les droits pour faire vivre une romance légitime. Ces représentations clichées des violences sexistes et sexuelles au cinéma sont les deux faces d’une même pièce qui fait du protagoniste un personnage en maîtrise de lui-même, mais également de l’agentivité de son pendant féminin.
Une dernière catégorie d’analyse permet de compléter le tableau du regard masculin sur les violences au cinéma : celle d’une violence présentée comme telle à l’écran, mais perpétrée par le protagoniste et considérée comme légitime ou plaisante par le spectateur. Ici l’ambiguïté ne se situe plus au niveau du consentement féminin : le cinéma légitime l’agression ou le harcèlement en tant que revanche sur un personnage féminin haï.
Les « sex quests » des teen movies : lorsque les loosers prennent leurs revanches sur les pom-pom girls
L’exemple le plus probant de ce mécanisme scénaristique se situerait surement dans les teen movies états-uniens mettant en scène des « sex quests » (littéralement des « quêtes sexuelles »). La base du scénario est souvent la même : au lycée ou à l’université, un jeune homme (ou un groupe d’hommes) toujours vierge tente de manière maladroite et comique d’obtenir une relation sexuelle d’une femme souvent populaire et lointaine (Boutang & Sauvage, 2011, p.76). Cette femme se révèle souvent superficielle, arrogante ou mauvaise.
C’est notamment le cas dans Sixteen Candles (1984). Après une soirée arrosée Ted, jeune lycéen « nerd », discute avec Ryan, le petit ami de la jeune femme la plus belle et populaire et leur établissement. Il découvre alors que celle-ci est en fait superficielle et stupide. Ryan lui en veut d’avoir organisé une fête chez ses parents et d’avoir laissé ses amis détruire la maison. Il propose ainsi à Ted de ramener la jeune femme, alors ivre et inconsciente, chez elle, en utilisant la Rolls-Royce de son père.
Ted vit une forme de consécration : il balade le corps de Caroline inanimé dans toute la ville au volant de la voiture de luxe et l’emmène chez ses amis « nerds » pour se faire photographier avec elle. Tous deux dorment finalement ensemble dehors, dans la décapotable. La cruauté de Ryan et Ted vis-à-vis d’une jeune femme en état d’inconscience est ici justifiée par sa bêtise et son arrogance.
La violence masculine joue ici un double rôle : elle est d’abord une revanche sur une femme inaccessible d’apparence parfaite, mais également un parcours vers l’accomplissement sexuel et l’âge adulte.
Le film La revanche des Nerds (1984) se structure sur la même logique. Les « nerds », harcelés et moqués par d’autres élèves plus populaires s’attaquent à la sororité la plus prestigieuse de leur campus. Ils envahissent les lieux et surprennent certaines étudiantes nues. Ils placent finalement des caméras dans le bâtiment et se délectent des images de l’intimité des jeunes femmes. Les scènes sont supposées être réjouissantes pour un public engagé du côté des nerds.
Répétition du motif au sein d’un cinéma légitime
Au-delà de films de genre stéréotypés, la dynamique de la revanche masculine trouve également écho dans un cinéma plus proche des sphères de la culture légitime. American Beauty (1999) en est un exemple particulièrement probant.
Le personnage de Lester décide de reconquérir sa liberté en imposant son autorité à sa femme et à sa fille qui le considèrent comme un looser. Il aspire à autre chose que la vie bourgeoise de banlieue pavillonnaire qui lui a été imposée. Sa femme, Carolyn, représente pour le spectateur le ridicule et la médiocrité d’un rêve américain bas de gamme. Elle écoute des cassettes de développement personnel, est fascinée par l’argent et la réussite professionnelle, passe son temps libre à s’occuper de son apparence physique et de son intérieur.
Elle est finalement punie à la moitié du film : Lester l’humilie après qu’elle l’ait surpris en train de se masturber dans le lit conjugal. Il se moque de son refus de coucher avec lui, la menace d’exiger d’elle la moitié de ses biens si elle demande le divorce. Cette scène de violence est supposée symboliser la libération morale du protagoniste masculin. Le dernier plan de la scène le montre allongé sur le côté face au spectateur, heureux et fier de sa séquence de « résistance ».
Dans A streetcare named desire (1951), classique du cinéma adapté de la pièce éponyme de Tennessee Williams (1947), le harcèlement sexuel de Mitch et de Stanley à l’encontre de Blanche prend la forme d’une double revanche masculine. Mitch s’attaque à elle lorsqu’il comprend que Blanche, qui se refusait à lui sous des prétextes moraux, s’est prostituée. Stanley, ouvrier polonais, se venge des affronts de classe perpétrée par l’ancienne professeure d’anglais. Blanche termine sa descente aux enfers en sombrant définitivement dans la folie.
Ces violences sont néanmoins présentées sous un jour plus ambigu, le film renvoyant dos à dos la folie de Blanche, la cruauté de Stanley et la médiocrité de Mitch, tous trois violentés de différentes manières par l’existence. La forte tension érotique entre Stanley et Blanche joue sur le stéréotype d’une femme incapable de s’avouer à elle-même son propre désir, à la fois dégoutée et fascinée par l’ouvrier polonais incarné par un Marlon Brando dominateur et sexualisé.
Une violence érotique
Dans les films cités, la violence masculine est une réponse légitime au refus sexuel des femmes ou à leur autoritarisme. Dans certains cas, elle peut également être érotisée. La violence est alors non seulement l’expression d’une domination de sexe du personnage masculin, mais également du spectateur qui prend plaisir à la souffrance sexuelle de la victime.
Nous retrouvons cette forme de violence dans de nombreux films sous divers stratagèmes. Dans Dangerous Liaisons (1988) l’adoption du point de vue de Valmont alors qu’il entre dans la chambre de Cécile de Volanges dans son sommeil, dévoile son corps au public et la réveille pour l’agresser, érotise la scène. Le spectateur partage le plaisir du protagoniste dans la conquête violente. L’érotisation des violences passe également par des pratiques filmiques typiques du male gaze : le découpage et l’exhibition des corps féminins, le positionnement en voyeur du spectateur.
Nous retrouvons notamment ces pratiques dans la scène de nuit de noces d’Angélique, marquises des anges (1964). Une longue séquence précédant l’irruption du mari dans la chambre met en scène la peur et l’infraction dans l’intimité d’Angélique. Le corps de la protagoniste est exposé dans une dynamique de dévoilement contre sa volonté. La peur de la violence devient un outil d’érotisation. La violence masculine est finalement, dans le dernier cas étudié, l’expression d’une domination jouissive de protagonistes masculins ou du spectateur.
En guise de conclusion…
Dans son essai Toute une moitié du monde, Alice Zeniter écrit poliment : « J’ai été un homme presque tout le temps de ma vie de lectrice. D’abord avec un immense plaisir et puis avec un certain agacement, dû à la lassitude, sans doute. » (2022).
En posant un regard masculin universel sur les relations amoureuses et les violences sexuelles, le cinéma grand public ne se contente pas d’oblitérer la moitié de l’humanité. Il produit de l’adhésion à une idéologie masculiniste qui fait du protagoniste une force de décision absolue et revancharde sur les femmes qui l’entourent. Cette dynamique est particulièrement violente lorsqu’elle structure une production cinématographique principalement destinée à un public de jeunes femmes.
Dans l’ensemble des cas étudiés, la violence sexuelle n’a pas de conséquence. Bella et Anastasia ne questionnent pas le harcèlement de leurs futurs conjoints, elles ne sont pas choquées par leurs agressions respectives. Scarlett O’Hara, va finalement admettre son amour pour Rhett et légitimer a posteriori le comportement harcelant qu’il a adopté envers elle. Dans La revanche des Nerds, Betty, après avoir vu sa sororité harcelée et des photos d’elle torse nue diffusées dans toute l’université, décide de se mettre en couple avec un des nerds, Lewis. Angélique tombe finalement amoureuse de son époux. Lorsqu’elle part à Paris le défendre, elle est agressée et violée sans qu’elle exprime par la suite un quelconque choc, traumatisme ou colère.
Les violences ne sont que des outils scénaristiques permettant tension, retournement de situation, romance, érotisme et revanche. Les personnages féminins les subissent avec plus ou moins de plaisir, dépourvus d’agentivité ou d’autonomie. Ces actes sont finalement banalisés pour un public masculin qui y trouve l’expression de son plaisir individuel comme pour les femmes supposées y consentir.
Un traitement des violences sexuelles depuis un regard féminin est alors toujours une forme d’irruption. On pense à La leçon de piano (1993) de Jane Campion. La puissance dramatique portée par la protagoniste nous rappelle que derrière les fantasmes masculins, les violences sexuelles et la domination structurent les existences. Sans misérabilisme ni glorification, le film montre une femme qui souffre et qui se bat pour elle-même.
Bibliographie :
Boutang, A. & Sauvage, C. (2011). Les teen movies. Vrin
Brey, I. (2020). Le regard féminin, une révolution à l’écran. Points
Pinto, A. & Mary, P. (2021) Sociologie du cinéma. La découverte
Rey-Robert, V. (2019). Une culture du viol à la française. Libertalia
Malassinet, A. (1979). Société et cinéma : les années 1960 en Grande-Bretagne : essai d’interprétation sociologique. Lettre modernes
Mulvey, L. (1975). Visual Pleasure and Narrative Cinema. Screen. vol. 16, Issue 3. pp. 6 – 18.
Zeniter, A. (2022). Toute une moitié du monde. Flammarion
Films cités :
365 dni (2020), Fifty Shades of Grey (2015), Twilight (2008), A very fine lady (1908), It happened one night (1934), Clueless (1995), Pretty woman (1990), Gone with the wind (1936), The Notebook (2004), Breakfast at Tiffany’s (1961), Revenge of the Nerds (1984), Sixteen Candles (1984), American Beauty (1999), A streetcar named desire (1951), Angélique, marquise des anges (1964), Dangerous Liaisons (1988), The Piano (1993).