Roland Weyl : le droit et l’action militante

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Roland Weyl : le droit et l’action militante

L’avocat communiste et résistant centenaire disparu le 20 avril laisse, mis à part son parcours exemplaire, des ouvrages de droit en prise avec la lutte des classes
Roland Weyl nous lègue, avec son épouse Monique, l’un des tous premiers ouvrages permettant d’avoir une réflexion marxiste sur le droit en France. Certes le Droit ouvrier, revue juridique de la Confédération Générale du Travail, existait depuis 1920 mais en étant beaucoup plus hétéroclite dans ses réflexions.


Nous nous proposons ici de revenir sur « La part du droit dans la réalité et dans l’action » édité en 1968, d’autres livres suivront jusqu’à « Droit, pouvoir et citoyenneté » en 2017 en passant par « Révolution et perspectives du droit : de la société de classes à la société sans classes » en 1974.
À cette date, on ne compte pas encore de travaux théoriques sur le droit en France. Des articles existent, Gérard Lyon-Caen, qui quitta le Parti Communiste en 1956, s’était proposé de « faire pour le Droit (avec quelque immodestie) ce que Marx a fait pour la science économique » (G. LYON-CAEN, Permanence et renouvellement du droit du travail dans une économie globalisée, Droit ouvrier, 2004, p. 50).


Cet ouvrage vient une dizaine d’années avant l’Introduction critique au droit de Michel Miaille et les premiers ouvrages du courant critique du droit qui ambitionne d’élaborer des « « contre-manuels » dans les principales matières du programme universitaire » (A. JEAMMAUD, sur critique du droit), auquel n’ont pas participé les principaux juristes du Parti communiste.

Une analyse matérialiste du droit


Roland et Monique Weyl nous proposent dans cet ouvrage pionnier une étude des fonctions du droit. Ensemble ils permettent d’approfondir ces questions que l’on a tendance à considérer, trop rapidement en réalité, comme délaissées par Marx, Engels ou encore Lénine.
La fonction première du droit bourgeois est de maintenir l’ordre établi. Cette analyse prolonge les réflexions de Lénine dans l’Etat et la Révolution. C’est ce que le couple Weyl nomme le Droit autorité.


L’apport est ici de distinguer le droit des autorités politiques et administratives qui sont les sources du pouvoir d’Etat et de ses modalités d’exercice et le droit répression. L’Etat apparaît en effet producteur du Droit autant qu’il est produit du Droit, en ce qu’il semble surplomber la société civile, se détacher d’elle.
Il y a cependant dans ce droit autorité un caractère émancipateur. Par le débat autour des formes d’organisation de l’Etat qui suit l’absolutisme royal, il y a un apprentissage de la démocratie et de la place que peuvent occuper les « citoyens » dans la définition des institutions. Cependant le droit et l’Etat sont organisés de sorte à servir les intérêts de la classe dominante.


C’est aussi un droit répression, c’est-à-dire les règles juridiques qui permettent d’assurer la domination d’une classe sur les autres. C’est par exemple un droit de propriétaire foncier qui permettait jadis de porter atteinte à la vie pour protéger la propriété des biens. C’est aussi un droit de contrainte, il prévoit pour les salariés la subordination à l’employeur et le pouvoir de sanction de ce dernier.
Ce droit répression s’exprime même à travers l’exercice de certaines libertés. Quand l’Etat définit ce qu’est la grève, que l’on célèbre généralement comme la reconnaissance d’une liberté, il définit par la même ce que n’est pas la grève, dépossédant les travailleuses et les travailleurs d’une totale liberté dans le choix de leurs modes d’action. Ainsi, la grève perlée est illicite et n’est donc pas pour le droit une grève, ce qui autorise l’employeur à sanctionner celles et ceux qui choisissent cette modalité.


La seconde fonction du droit est un droit organisation de la classe dominante. La propriété occupe une place centrale dans le code. Les rapports économiques y sont déterminants.
Que l’on pense à la liberté contractuelle qui permet de faire fructifier son patrimoine ou à la conception patrimoniale de la famille ou encore aux garanties judiciaires de solvabilité en matière de droit des affaires. Tout le droit est traversé par les rapports de production et par sa figure juridique majeure qu’est la propriété.
Sa dernière fonction est celle d’un droit suprématie fondé sur l’individualisme, le libéralisme et l’égalitarisme. La société juridique bourgeoise est fondée sur la liberté de contracter qui suppose l’égalité, en droit, des individus.

Une analyse dialectique du droit

On aurait cependant tort de voir le droit comme étant dans l’intérêt unique du capitalisme. Le droit de grève dont nous avons vu la critique est aussi une limitation à la liberté contractuelle de l’employeur. De même que la réglementation des loyers limite la liberté contractuelle du propriétaire.
L’évolution du droit est faite de flux et de reflux. La loi est l’ « expression la plus directe, la plus apparente des rapports sociaux, dans la forme de leur projection juridique » (M. et R. WEYL, La part du droit, p. 122). Elle est donc traversée par des antagonismes sociaux mais a également ses propres contradictions.
La contradiction avec la loi peut provenir de son interprétation par les tribunaux. Le juge peut vider de son sens ou de sa portée une mesure progressiste ou au contraire faire échec à une loi réactionnaire.La pratique peut également faire évoluer le droit ou en vider la substance par non-application de la loi. Les conventions peuvent également jouer un rôle en tant qu’instrument juridique infralégal.


L’interaction des contradictions peut ainsi faire évoluer le droit. Soit directement comme la liberté de réunion en 1881 qui permet d’obtenir la liberté syndicale en 1884 puis la liberté d’association en 1904. Elles peuvent agir indirectement aussi par le canal des conséquences idéologiques, comme la conquête d’un suffrage réellement universel par son ouverture aux femmes, ou économiques comme l’entrée massive des femmes dans la production qui conduit à la création du congé maternité.


Le droit a donc un potentiel progressiste. Si sa conception a d’abord eu un contenu conservateur voire réactionnaire, certains concepts sont des outils idéologiques entre les mains des travailleuses et des travailleurs. Tel est le cas de l’universalisme qui a pu justifier la conquête de droits nouveaux ou leur généralisation. Il lui faut cependant une force matérielle pour y parvenir.
« Produit et reflet de l’histoire et non son moteur, le droit en demeure cependant un instrument. Il contribue à transformer les structures, mais il contribue également à modeler les comportements. » (M. et R. WEYL, La part du droit, p. 160)


Son rôle est essentiellement idéologique, en même temps qu’il contribue à modeler des pratiques en les encadrant. Par ce biais, il interagit avec les comportements et avec l’organisation même de la société.
C’est pourquoi dès le début du livre nous sommes mis en garde contre la déviation de gauche qui rejetterait le droit au rang d’entrave et de mystification de la lutte des classes et d’une déviation de droite qui accepterait le droit comme une affaire d’experts ou à ne s’intéresser qu’à la légalité d’une action. Les deux déviations trouvant leur unité dans la croyance entre une option entre le droit et l’action quand l’un et l’autre forment une unité dialectique.


Mais ce n’est là que le début de l’analyse proposée par Monique et Roland Weyl dans cet ouvrage qu’on ne saurait que trop conseiller de (re)découvrir. L’analyse est étayée de divers exemples permettant de rendre le propos plus clair et plus concret, ainsi que d’une approche comparativiste avec le droit soviétique et le droit international qui conservent toujours un intérêt.


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