Mumia Abu Jamal, a aujourd’hui 64 ans, dont 36 ans derrière les barreaux et 30 ans dans un couloir de la mort. Symbole d’une justice aussi raciste que expéditive, le 30 avril prochain, ses avocat·e·s demanderont la révision de son procès. Un nouvel espoir de libération pour “la voix des sans voix”, retour sur l’histoire d’une injustice.
Coupable d’être né à Philadelphie ?
Philadelphie prononce plus de la moitié des peines capitales de Pennsylvanie, mais ne représente que 14% de la population totale de l’Etat. Selon une étude de 1998, mais qui n’a guère évolué dans le bon sens, plus de 83% des détenu·e·s dans le couloir de la mort à Philadelphie sont afro-américain·e·s. Les accusé·e·s noirs voient le risque d’une condamnation à la peine capitale multiplié par 3,8, soit 38% de surplus de condamnation à la peine de mort par rapport aux accusé·e·s blanc·he·s ayant commis des crimes de même nature.
Coupable d’être militant de la paix et de la justice ?
Né Wesley Cook, il deviendra Mumia Abu Jamal au cours de ses jeunes années de militantisme. « Mumia » vient d’un de ses professeurs de lycée d’origine kenyane qui donnait à ses élèves des prénoms africains. « Mumia » veut dire prince mais c’est aussi la dénomination de nombreux combattants contre la guerre anti-coloniale des kenyans contre la Grande Bretagne. « Abu Jamal » veut dire en arabe « fils de Jamal », suite de son nom qu’il prit à la naissance de son fils.
Dès 14 ans, en 1968, Mumia subit la répression policière brutale de Philadelphie. Après avoir protesté devant le meeting du candidat pro-ségrégationniste à l’élection présidentielle Georges Wallace, il se fait arrêté et battre. Cet évènement sera déclencheur : il s’engage en 1969 aux Black Panthers Party et prendra rapidement des responsabilités. Plus tard il tente de rebaptiser son lycée « Malcom X », il sera alors fiché par le FBI et est considéré comme l’une des personnes « à surveiller et interner en cas d’alerte nationale ».
Mumia prend ses distances avec les Black Panther Party agacé de quelques querelles et en désaccord avec certaines modalités d’action. Pour autant Mumia n’abandonne pas son militantisme et devient journaliste de radio. Très vite, son travail de journaliste de terrain luttant contre les discriminations, les injustices, la corruption de la police et des dirigeants locaux, est apprécié. Il est surnommé « la voix des sans-voix ».
C’est tout naturellement que dès 1978 il dénonce la violente répression qui frappe le groupe MOVE. C’est son plein engagement dans la défense de ce groupe que le gros des ennuis lui arrivera.
MOVE ?
Créé en 1972 par John Africa, l’objectif de l’organisation est de dénoncer, de s’élever contre toutes les injustices, tous les abus commis contre toute forme de vie, humaine, animale ou végétale. C’est un mouvement révolutionnaire qui lutte contre toutes formes d’asservissements (à noter que tous les membres abandonnent leur nom de famille pour s’appeler « Africa »). Le groupe ne tardera pas à lutter contre la corruption et la violence policière dont il deviendra la victime principale.
Franck Rizzo, maire de Philadelphie, élu en 1970, notoire pour sa brutalité raciste en tant que commissaire de police de 1968 à 1971, va s’acharner sans merci contre la famille MOVE, causant la mort de nombreux adultes, mais aussi enfants. Notons que Rizo a été élu avec des slogans tels que « votez blanc », et a déclaré publiquement que ses forces de police seraient si répressives qu’elles « feraient passer Attila pour un pédé ».
Un fameux 9 décembre 1981…
Ce jour-là, Mumia, chauffeur de taxi, vient de déposer un client dans le quartier sud de la ville. Une fusillade éclate, il est grièvement blessé. Dans la foulée, il est arrêté et accusé du meurtre d’un policier, Daniel Faulkner, tué dans cette même fusillade. Malgré sa détermination à prouver son innocence, malgré l’absence d’antécédents judiciaires, l’enquête bâclée (expertises balistiques inexistantes, balles non-identifiables, pas de relevé d’empreintes, témoins menacés et écartés…) conclut à la culpabilité de Mumia.
En Juillet 1982, la condamnation à mort est actée, sous la pression d’un juge recordman de la peine de mort. S’engage alors une lutte acharnée pour faire connaître le cas de Mumia, l’injustice qu’il vit et pour exiger l’abandon des charges et particulièrement la condamnation à mort.
À plusieurs reprises la mobilisation internationale sauve Mumia. Le 7 décembre 2011 sa peine de mort est commuée en prison à vie. Cette décision met un terme à 30 ans de lutte pour faire sortir Mumia des couloirs de la mort.
Le 13 août 2012, la justice fédérale de Pennsylvanie a rendu une ordonnance condamnant Mumia à la prison à perpétuité sans possibilité de libération. En violation de la législation pénale, ni Mumia, ni ses avocates en avaient été informés !
C’est in extremis qu’un recours a cependant pu être déposé. En août 2013, l'(in)justice états-uniennes confirme la condamnation à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Mumia a été privé de la possibilité de contester la condamnation à vie sans possibilité de libération conditionnelle.
Le combat pour la libération de Mumia n’est pas fini !
Ces dernières années n’ont pas été simple pour Mumia. En 2015, sa santé s’est nettement dégradée. Les services pénitenciers ont refusé de lui apporter les soins nécessaires, des soins de qualité. Il a fallu de multiples mobilisations, des interventions nombreuses (et coûteuses) de la part de ses avocat·e·s. Aujourd’hui, Mumia est soigné, mais avec un traitement qui vient calmer la douleur et non par un traitement qui lui permettrait de guérir. Il souffre encore énormément, dans un univers qui accentue chaque douleur, chaque peine. Heureusement, il y a quelques temps, un nouvel espoir est né. L’espoir que soit, enfin, revisité le procès de Mumia.
En Juin 2016, la Cour Suprême des Etats-Unis a renversé une décision de la justice de Pennsylvannie concernant l’affaire Terry Williams – condamné à mort – parce que le magistrat Ron Castille fut impliqué dans cette affaire en sa qualité de procureur, puis de juge plus tard quand il siégeait à la Cour suprême de Pennsylvanie. Une nouvelle jurisprudence de la Cour Suprême des Etats-Unis a vu le jour à la suite de cette affaire. Dorénavant, la Cour Suprême des Etats-Unis considère non-conforme à la Constitution le fait qu’un même magistrat, procureur ou juge, soit impliqué dans une affaire de peine capitale à ses différents niveaux judiciaires.
Traduction : on ne peut être juge et partie d’une même affaire. Cette nouvelle jurisprudence est un nouvel espoir pour Mumia d’avoir enfin un procès plus juste, car il est lui-même concerné par l’omniprésence de R. D. Castille dans son affaire, qui a lui-même reconnu être partie prenante dans 45 condamnations à mort
A la suite de cette nouvelle jurisprudence, 18 personnes, dont Mumia, ont interpellé la justice de Pennsylvannie pour que soit revu leur procès. Le juge Trucker a la charge de traiter ces dossiers. Dès le début, dans l’affaire Mumia, le juge Trucker a été confronté à de nombreuses embuches, par exemple, le fait de ne pouvoir accéder aux documents prouvant l’implication de Ronald Castille, documents détenus par le Bureau du Procureur, pour lequel R. D. Castille était encore membre.
Le Procureur de l’époque n’aidait pas non plus, mais il est aujourd’hui en prison… Ainsi au vu du refus de coopération du bureau du procureur, le juge Trucker a demandé que lui soient remises les 31 boîtes d’archives de l’affaire Mumia dont dispose le bureau du procureur. A l’examen des pièces, le juge a trouvé une référence à une lettre spécifique écrite par Ron Castille pouvant son implication aux différents niveaux de l’affaire, lettre que l’administration déclare avoir récemment perdue.
Un nouveau procureur pour un nouvel espoir
Aux Etats-Unis, les procureur·e·s sont nommé·e·s par les citoyen·ne·s (en France, par le Président de la République). C’est ainsi que le 1er janvier 2018 a été intronisé un nouveau procureur (démocrate) en Pennsylvannie, Larry Krasner, élu avec plus de 150.000 voix, soit 75% des suffrages exprimés. En face de lui, la candidate républicaine, pourtant soutenue par le parti de Trump, du syndicat de la police (FOP), du plus important journal de la ville, n’a eu que 50.000 voix. Cette victoire écrasante est révélatrice d’un mouvement de contestation du système de la justice aux Etats-Unis, mais notamment en Pennsylvannie.
Ainsi de nombreux syndicats, de nombreuses associations (féministes, LGBTI+, de défense des droits humains, de défense des droits des migrants, des personnes en situation de handicapes), des mouvements pour la paix, contre la peine de mort, mais aussi des mouvements sociaux comme Occupy Philly et Black Lives Matters… se sont mobilisé·e·s pour faire élire Larry Krasner.
Les 30 années qu’il a passé en tant qu’avocat à défendre sans concession des femmes et des hommes victimes de la répression d’Etat dans tous les domaines du droit et des libertés civiques ont fait de lui le candidat attendu des mouvements progressistes. Son programme électoral n’a fait que confirmé la chose : une justice transparente et équitable, en mettant fin, entre autre, à l’incarcération systématique et de masse, aux condamnations à mort, en cessant de traiter la toxicomanie comme un crime et non comme une maladie, en réformant la police et ses pratiques en axant ses priorités contre la grande criminalité…
Espérons vivement que cette nouvelle élection permettra à Mumia d’avoir un vrai procès, et ainsi d’être libéré. Rien dans cette affaire ne peut justifier légalement une telle condamnation, et ce depuis 36 ans. Espérons que le juge Trucker, que le procureur Krasner, mènent à bien la révision de ce procès, malgré les embûches qui continuent à se répéter.
Mumia symbole vivant et inspiration des luttes américaines
Espérons, mais n’oublions pas de continuer à lutter pour que cet espoir se concrétise. Mumia est encore une menace pour beaucoup. « Ce Nègre-là devient envahissant. Il faut le liquider » c’est ce qu’en pensait ouvertement un policier en juillet 1995 devant un journaliste de L’Humanité. Et depuis, la haine et la répression contre Mumia n’a pas cessé. Même en prison, il continue à être une influence importante pour les mouvements progressistes.
Ces dernières années, à plusieurs reprises, des lycéen·ne·s et étudiant·e·s ont cité et défendu Mumia dans des discours officiels du type remise des diplômes, au grand désarroi des autorités états-uniennes. Mumia n’a jamais cessé de combattre, un combat actuel, toujours à l’écoute des souffrances en cours. Il a d’ailleurs sorti un nouveau livre en 2017 intitulé Have Black lives ever matters ?. Et si Mumia continue de combattre et d’être une cible, nous devons, nous aussi, en France, continuer à ne rien lâcher. C’est ainsi que la mobilisation se poursuit.
En début d’année, La Fédération Internationale des Journalistes (regroupant tous les syndicats de journalistes du monde) a écrit une lettre au Gouverneur de Pennsylvanie. C’est le syndicat français des journalistes CGT – dont Mumia est adhérent d’honneur – qui est à l’origine de cette initiative. C’est la première fois que cette Fédération Internationale – qui compte 160 syndicats dans 140 pays et rassemble 600.000 adhérent·e·s – intervient officiellement et publiquement en faveur de son confrère journaliste Mumia Abu-Jamal. Cet acte est très fort, et en appelle d’autre.
Le 30 avril prochain est une date importante pour Mumia car ses avocat·e·s plaideront la demande de révision de son procès, avec l’espoir que la justice de Pennsylvanie lui donne enfin le droit de défendre son innocence…
Souscription pour payer la défense de Mumia
Ses opposants tentent de le faire taire, ils ne doivent pas réussir. Mumia Abu Jamal est « la voix des sans voix », hier comme aujourd’hui, et avec nous, ses soutiens, cette voix doit continuer de retentir. Liberté pour Mumia Abu Jamal !