Les neuf limites planétaires, un outil au service de l’environnement et de l’humain

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Les neuf limites planétaires, un outil au service de l’environnement et de l’humain

Quand on parle d’écologie ou de problèmes environnementaux, on pense instantanément au réchauffement climatique et au CO2. Mais les enjeux écologiques sont bien plus vastes et touchent une large palette de paramètres physico-chimiques dont la stabilité est essentielle au bon développement de la vie telle qu’on la connaît. Les scientifiques les appellent les limites planétaires : il s’agit de quantifier l’impact de l’humain sur la planète. 

Des limites qui ne cessent d’être dépassées les unes après les autres et qui conduisent à une instabilité des environnements terrestres. Cela menace directement le développement de nos sociétés ainsi que les écosystèmes naturels, sacrifiant une biodiversité dont nous dépendons grandement. 

La question d’une zone sûre pour le développement de nos sociétés n’est pas qu’écologique, mais également sociale. C’est là que les questions de justice sociale et de développement durable se chevauchent et doivent être considérées comme un ensemble et non comme deux enjeux distincts.

Les neuf limites planétaires : un outil puissant

C’est en 2009 qu’un collectif de scientifiques du Stockholm Resilience Centre publie dans la revue Nature un article dans lequel ils recensent sept limites planétaires à ne pas dépasser pour rester dans une zone sûre pour le développement de l’humanité. Le principe est simple : définir pour chaque paramètre un seuil au-delà duquel on entre dans une zone d’incertitude dans laquelle les conditions de vie seraient détériorées. À partir d’une certaine limite, les modifications causées par l’humanité seraient irréversibles et entraîneraient des changements environnementaux brusques, imprévisibles et potentiellement catastrophiques pour l’humanité.

Ces limites planétaires permettent de quantifier l’impact anthropique sur l’environnement à différents niveaux de la biosphère ou de l’atmosphère. Pour cela, les chercheurs ont défini une valeur-seuil estimée à partir d’un ensemble d’études et d’extrapolations, prenant en compte les niveaux actuels extraits ou émis dans l’environnement (en fonction du paramètre considéré) et les impacts déjà recensés.

Des mises à jour de l’état des limites ont été faites en 2015 et 2023. Initialement, sur les sept limites étudiées, trois étaient déjà dépassées : le réchauffement climatique, le cycle de l’azote et l’érosion de la biodiversité. En 2015, c’est le changement d’usage des sols qui dépasse la limite. Enfin, en 2023, deux nouvelles limites sont rajoutées pour permettre un affinage des connaissances de l’impact anthropique sur l’environnement. Ce sont, à l’heure actuelle, six des neuf limites qui sont estimées dépassées à l’échelle mondiale.

Voici les neuf limites prises en compte en 2023 :

  • Le réchauffement climatique – dépassé
  • L’acidification des océans
  • L’appauvrissement de la couche d’ozone
  • La perturbation des cycles biogéochimiques du phosphore et de l’azote – dépassé
  • Le cycle de l’eau douce – dépassé
  • Le changement d’usage des sols du fait de la déforestation, de l’agriculture intensive, de l’urbanisation… – dépassé
  • L’érosion de la biodiversité – dépassé
  • L’augmentation de la présence d’aérosols dans l’atmosphère
  • L’introduction de nouvelles entités dans la biosphère, telles que des molécules d’origine humaine comme les plastiques, mais également des métaux lourds – dépassé

L’érosion de la biodiversité ainsi que le réchauffement climatique sont désormais considérés comme irréversibles par la communauté scientifique.

Les limites planétaires constituent un des arguments principaux fixant l’entrée dans l’Anthropocène, en particulier l’introduction de nouvelles molécules dans les sols, changeant durablement la nature de certaines couches géologiques de surface ainsi que les conditions climatiques.

L’économie du donut

Kate Raworth, économiste et enseignante à l’université d’Oxford, publie en 2017 un livre qui introduit un concept économique visant à relier justice sociale et protection de l’environnement pour permettre un réel développement durable des sociétés humaines. Le but est de définir une « zone verte » dans laquelle les individus d’une société peuvent s’épanouir dans un environnement juste et confortable. Ce modèle prend alors la forme d’un donut avec un plafond et un plancher. 

Dans ce modèle, les limites planétaires décrites précédemment vont avoir un rôle de plafond au développement économique. Divers critères sociaux constituent le plancher en dessous duquel il ne faut pas descendre pour éviter toute dérive au sein de nos sociétés : ils correspondent à différents critères de justice sociale essentiels au bon fonctionnement d’une démocratie et à la pleine émancipation des individus. Kate Raworth en définit 12 : alimentation, santé, éducation, eau potable, logement, accès à un travail digne, égalité des genres, une voix politique, etc.

Cette vision permet la mise en lien des besoins sociaux de chacune et chacun tout en prévenant toute croissance non contrôlée telle qu’on en connaît depuis l’après-deuxième guerre mondiale. Bien trop de politiques qui se veulent écologiques ne prennent pas en compte les besoins sociaux des individus, engendrant un rejet massif et une incompréhension de la transition écologique, notamment chez les classes populaires, le monde agricole ou ouvrier. 

Bien comprendre la science pour mieux appréhender les enjeux écologiques

Le concept de « limite planétaire » est d’abord et avant tout un outil scientifique qui n’est pas dénué de défauts et qui est voué à évoluer. Il ne doit pas être interprété comme étant un outil annonçant la fin du monde une fois que l’entièreté des limites sera dépassée, mais comme une clé de compréhension des enjeux écologiques actuels et futurs. Ce que nous dit ce concept est que nous ne savons pas vraiment comment se comportera l’environnement terrestre au-delà de certaines frontières bio-physico-chimiques. 

À l’échelle des grands cycles bio-géo-chimiques et autres perturbations globales, les modifications environnementales ne sont pas à observer du jour au lendemain. Les changements se font petit à petit sans frontières bien définies et parfois de manière assez paradoxale et difficilement compréhensible sans certaines clés de décryptage scientifiques. Il faut bien prendre en compte que, même si un certain nombre de limites sont déjà dépassées à l’échelle mondiale, quand on étudie ces limites à l’échelle plus locale, les résultats peuvent être très différents, plus ou moins accentués, avec des impacts plus ou moins inattendus.

Il faut donc bien prendre en compte tous les paramètres et avoir du recul sur ces concepts pour éviter de les réduire au sensationnalisme scientifique tel qu’on le retrouve régulièrement sur les réseaux sociaux ou dans les médias. 

Il n’en reste pas moins que l’urgence environnementale est bien là et les premiers effets des dérèglements se font sentir avec brutalité. Le grand coupable reste un système libéral qui préfère fermer les yeux pour gagner toujours plus d’argent sur le dos des peuples qui ne cessent de payer le prix des dérèglements environnementaux. Une politique écologique sera viable sur le long terme seulement si elle inclut largement les questions de justice sociale et de démocratie.

Il y a un cruel besoin de connaissances et de progrès techniques et technologiques dans le secteur du développement durable, pour permettre aux populations de faire face aux enjeux écologiques actuels et futurs engendrés par le dépassement des limites planétaires. Malgré cette urgence, le gouvernement et le Parlement ont décidé en 2025 de diminuer le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche de 1,2 milliard d’euros. Encore une fois, les besoins humains sont sacrifiés sur l’autel de l’austérité. 


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