Depuis le 22 mai dernier est débattue la prochaine Loi de programmation militaire (LPM) à l’Assemblée nationale. Ce débat voit le jour dans un contexte de course à l’armement mondial et d’augmentation drastique des budgets depuis le début du conflit en Ukraine.
Engagées depuis plus de trente ans dans une crise budgétaire, les armées françaises attendaient depuis longtemps une augmentation de leurs moyens. Si la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 a bien réussi à redonner des couleurs à une armée exsangue, sa successeure risque de prolonger ce qui était déjà son défaut majeur : une erreur stratégique.
C’est évidemment Sébastien Lecornu, ministre des Armées, qui a pris la casquette de défenseur de ce nouveau projet budgétaire. Écumant les régiments et les bases militaires, celui-ci a défendu un projet de loi de transformation et ambitieux.
Ambitieux, il l’est certainement. Ce sont 413 milliards d’euros qui sont prêts à être injectés dans la Défense, une somme considérable qui double le budget du ministère des Armées. Transformateur, il l’est beaucoup moins : la LPM de 2024 reste dans la continuité de la précédente loi de 2019 en y ajoutant toutefois la mise en service d’un porte-avions de nouvelle génération ainsi que le développement de l’arsenal nucléaire.
Une guerre d’avance ou une paix de retard ?
C’est à la tribune de l’Assemblée nationale que Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, a fustigé le danger que faisait courir au pays la volonté d’Emmanuel Macron de faire avoir à la France « une guerre d’avance ». Car celle-ci pourrait se transformer en « paix de retard ». L’alignement de la France sur les positions états-uniennes laisse songeur quant à ce budget. Loin d’être accès sur la nécessité d’une défense nationale, voilà qu’il est question d’une armée de projection.
En parallèle, depuis le début du quinquennat Macron, le corps diplomatique français est profondément fragilisé par les coupes budgétaires et les méthodes de recrutement des représentants de la France à l’étranger, désormais nommés par le chef d’État. Diplomates et spécialistes ont ainsi lourdement critiqué les choix faits par le gouvernement en la matière depuis plusieurs années. Mais il faut reconnaître que la place grandissante de l’armée dans les relations internationales et la mise à l’écart du corps diplomatique avait déjà commencé sous le quinquennat Hollande et plusieurs articles de presse avaient dénoncé la mainmise de la Défense sur les relations avec les pays africains au détriment du Quai d’Orsay.
En favorisant une armée de projection plutôt que de défense, en renforçant l’armement nucléaire et en ne remettant pas en cause la participation de la France à l’OTAN, Lecornu et Macron perpétuent une logique guerrière et impérialiste qui met à mal la stabilité des régions dans lesquelles la France est présente.
Quelle armée pour la France ?
Malgré certaines avancées indéniables permises par le renforcement de l’armée de terre et la création de nouveaux fonds pour les technologies, cette nouvelle LPM prolonge les erreurs déjà commises par les précédents gouvernements en termes de stratégie militaro-industrielle.
D’abord, le renforcement de l’arsenal nucléaire français va alimenter les tensions mondiales déjà importantes, générées par la doctrine de dissuasion nucléaire, notamment par la projection d’un tout nouveau porte-avions. Alors que la France est signataire depuis 1992 du traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP), son devoir devrait être de favoriser le désarmement multilatéral des outils de dissuasion. Malgré les déclarations et les annonces faites par le gouvernement sur l’engagement de Paris contre ces armes destructrices, ce vœu pieux peine à se matérialiser.
Pourtant, il est clair que la dissuasion nucléaire n’est en rien garante de la paix dans le monde. Au contraire, elle laisse planer une épée de Damoclès sur les peuples, tant des frappes ciblées ne peuvent être exclues des possibilités laissées aux nations la possédant.
D’autre part, la nouvelle répartition des fonds va grever les capacités de la Marine à assurer sa présence sur l’immense espace maritime français, le plus grand du monde. Alors que les tensions s’exacerbent sur les différentes mers du globe, la France doit se doter de frégates légères et flexibles, telles que les FREMM, afin d’assurer le contrôle de ses espaces éloignés plutôt que de se concentrer sur la recréation d’un groupe aéronaval de dissuasion.
La nouvelle LPM peine à répondre à l’un des principaux problèmes de l’armée française : la désindustrialisation. Les logiques néo-libérales ont durement affecté la capacité d’équipement de nos armées et si les exportations de matériel lourd sont très importantes, la France importe massivement munitions et équipement personnel.
Par cette loi, la France entend s’imposer comme garante de la souveraineté de l’Europe et contribuer à l’édification d’un pilier de défense européenne solide, en complémentarité avec l’OTAN. Par là, elle est empreinte d’une logique d’alignement et de projection offensive.