Daria Bagina : “à Moscou, notre victoire a été volée au moyen du vote électronique”

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Daria Bagina : “à Moscou, notre victoire a été volée au moyen du vote électronique”

Les dernières élections législatives en Russie ont montré une nette progression des communistes russes (KPRF) ainsi qu’une forte répression et triche du pouvoir de Poutine. 

Avant-Garde a rencontré Daria Bagina, dirigeante du Komsomol de Moscou.

Pourrais-tu nous parler de tes fonctions au sein du Parti Communiste de la Fédération de Russie (KPRF) et de ta candidature dans le 37eme arrondissement de la ville de Moscou lors de la dernière élection ? 

Merci à vous pour cette opportunité ! Je suis membre du Bureau du Comité de la ville de Moscou du Parti Communiste et je dirige également l’organisation de jeunesse LKSM (Lenin Communist Youth Union) dans la capitale. 

Cet été, le Comité municipal de Moscou du KPRF a proposé ma candidature pour les élections partielles au parlement de Moscou, faisant de moi la plus jeune candidate nommée par les forces de gauche à Moscou en 2021 et je suis extrêmement reconnaissante que mon Parti m’ait offert l’opportunité de participer à ce scrutin.  

Cela a payé : j’ai gagné dans la plupart des bureaux de vote de ma circonscription, mais je n’ai pas pu être élue car les votes électroniques à distance ont été falsifiés

Tu es née en 1998, c’est-à-dire après l’effondrement de l’URSS. Peux-tu nous dire que c’est que d’avoir vingt-trois ans et d’être communiste en Russie aujourd’hui ? D’ailleurs qu’est-ce qui t’a décidé à rejoindre le Parti Communiste de la Fédération de Russie ? 

Être une jeune communiste aujourd’hui, c’est  être à l’avant-garde de la lutte pour un avenir socialiste. La jeunesse de gauche en Russie est la plus active et la plus mobilisée politiquement – cela a attiré mon attention lors des élections de 2016 à la Douma d’État. 

Puis lorsque j’ai participé aux élections pour la première fois, j’ai vu le potentiel de protestation colossal que représentaient les communistes. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai d’abord rejoint une organisation de jeunesse, puis six mois plus tard, j’ai rejoint le Parti Communiste, cinq ans après je ne regrette pas ma décision. 

En septembre, malgré des fraudes massives, le Parti communiste de la Fédération de Russie est passé de 13,34 % à 18,93 %, gagnant 3 374 165 voix par rapport aux élections précédentes. Au KPRF, comment analysez- vous cette campagne en Russie, depuis la France elle semble réussie, mais partagez vous cet avis ?

Nous savons que notre Parti a reçu beaucoup plus de voix que ce qui a été annoncé. Jusqu’à la publication des résultats du vote électronique, le pourcentage de soutien au Parti communiste à Moscou et dans les régions dépassait largement les 13 %. 

Il s’agit d’une croissance naturelle, car pendant tout ce temps, les communistes étaient le seul parti d’opposition enregistré en Russie qui travaillait systématiquement avec la population dans le cadre d’un programme de protestation et en dehors des campagnes électorales. 

Le pourcentage élevé de soutiens est le résultat du travail des sections locales du parti dans tout le pays au fil des ans.

En France, les médias ont tendance à nous dire qu’après la chute de l’URSS, les Russes ont tourné la page et complètement rejeté l’idéologie communiste, mais votre forte présence locale prouve le contraire. Pourrais-tu nous parler de l’attachement des Russes au communisme et en particulier à l’URSS ? 

Les résultats des derniers sondages d’opinion en Russie montrent une sympathie croissante pour les idéaux communistes. 

Il est indéniable qu’une partie importante de ce pourcentage est constituée de personnes ayant vécu et étant nostalgiques de l’URSS. Mais en même temps, grandit une génération qui privilégie le socialisme et qui considère que la transition du pays vers une économie de marché a été une erreur. 

Les médias français disent souvent que le Parti communiste de la Fédération de Russie est une « opposition contrôlée » à Vladimir Poutine et que de fait il ne représente pas une réelle menace pour Russie Unie et ce alors que de nombreux communistes sont aujourd’hui victimes de répression. Tu as toi-même vécu cette répression, pourrais-tu nous en parler ? 

Si tel était le cas, les autorités n’auraient pas besoin de réécrire les résultats des élections, de mener des campagnes de relations publiques clandestines contre le Parti communiste, de faire pression sur les députés sortants et de tenir nos candidats forts à l’écart des élections. 

Le Parti communiste de la Fédération de Russie a toujours exprimé sa protestation contre les lois répressives et les réformes désastreuses et a adopté sa position de principe sur les problèmes sociaux les plus urgents des cinq dernières années. 

L’une des campagnes d’oppositions les plus marquantes pour nous autres communistes a été un appel aux citoyens à voter contre les modifications de la constitution en 2020 et la réinitialisation des mandats de Vladimir Poutine. Cela ne ressemble pas à une «opposition contrôlée », surtout lorsqu’elle est associée aux répressions sans précédent qui visent les communistes depuis septembre 2021. 

Je pense qu’au fur et à mesure que la popularité du KRPF grandira, la pression des forces de sécurité sera plus forte sur nous.

Ces dernières semaines, on a assisté à de grandes manifestations à Moscou et ailleurs condamnant les fraudes électorales et la répression contre les opposants politiques, en France cela a été présenté comme des rassemblements organisés par des partisans d’Alexei Navalny, est-ce vrai ? Quel est le rôle du Parti communiste de la Fédération de Russie dans ces grandes manifestations populaires ? 

Ce n’est pas vrai, car ce sont les communistes et les anciens candidats aux législatives du Parti communiste de la Fédération de Russie, dont la victoire a été volée au moyen du vote électronique, qui ont fait descendre les gens dans la rue. 

Nous avons appelé toutes les forces politiques à s’unir pour protester contre le trucage de ces élections. Les partisans de Navalny étaient également à Moscou lors de ces actions, mais en tant que participants et non en tant qu’organisateurs. Je me trompe peut-être, mais il n’y a pas eu d’appel direct de l’équipe de Navalny pour se joindre à la manifestation de rue. 

Suite à ces rassemblements, plus de 100 sympathisants du mouvement de gauche, parmi lesquels d’anciens candidats aux législatives et actuels députés à la Douma de Moscou ont été arrêtés. 

J’ai moi-même été détenue près de mon lieu de résidence, le 14 octobre j’aurai un procès. Je suis accusée d’avoir organisé un événement non autorisé sur la place Pushkinskaya le 20 septembre.

En parlant de grandes manifestations, en 2018, le KPRF était sans doute la force principale du mouvement contre la réforme des retraites mise en place par Vladimir Poutine, pourrais-tu nous parler de cette époque et de ce qu’a donné la mobilisation des communistes ? 

En 2018, nous avons organisé trois grands rassemblements sur l’avenue Sakharov contre le l’augmentation de l’âge de la retraite, ces derniers ont chacun réuni plus de 100 000 participants. 

Lors de la lecture du projet de loi à la Douma d’Etat, les députés du Parti Communiste ont voté contre. Parallèlement, un référendum a été lancé à Moscou contre cette augmentation de l’âge de départ à la retraite, mais la Commission électorale centrale a délibérément entravé le développement de ce processus. 

Dans le même temps, de nombreux mouvements gauchistes et d’autres petits partis ou mouvements sociaux ont surgi pour diviser les groupes de protestation. 

Pour être honnête : malheureusement, les autorités ont réussi à diviser l’opposition, ce qui a annulé nos efforts. Nous fondions beaucoup d’espoirs sur la nouvelle convocation de la Douma d’Etat, mais nous n’avons pas pu renforcer suffisamment notre position pour défendre notre premier projet de loi : rétablir le précédent âge de départ à la retraite. 

Les médias atlantistes français disent souvent de Vladimir Poutine qu’il est  « l’homme qui aimerait faire revivre l’URSS », est-ce Vladimir Poutine joue sur cette ambiguïté et sur la nostalgie de l’Union Soviétique ? Vous les communistes du KPRF qui êtes les vrais garants de cet héritage que pensez vous de cela ? 

Il ne s’agit là que d’un tour de passe passe, une technique de technocrate pour embobiner le public, rien de plus. 

Vladimir Poutine est le successeur d’Eltsine et de sa politique. Ses actions en tant que président et premier ministre ces vingt dernières années ont démontré qu’il ne travaillait que dans l’intérêt des grands oligarques et non pour améliorer les conditions socio-économiques de la population de notre pays. 

Au-delà de la lutte contre la fraude électorale, quels seront les principaux combats du KPRF dans les mois et les années à venir ? Penses-tu qu’il existe une perspective communiste en Russie ? 

La lutte contre le vote électronique et l’annulation des résultats des élections à Moscou, sera en effet l’un de nos principaux combats. 

Si dans les pays européens le vote électronique est une procédure transparente, en Russie il est devenu le plus grand instrument de truquage des élections de 2021. 

Nous savons avec certitude que cette fois, nous avons reçu un énorme soutien des électeurs et que la population a placé de grands espoirs dans notre parti. 

Nous voulons défendre la possibilité de participer à des élections libres, transparentes et équitables sans falsifications sales. Et la lutte pour cela peut devenir un nouveau cycle dans le développement de l’idée de gauche dans l’ensemble de la Russie.


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