Cela pourrait ressembler à un problème insoluble donné lors d’un examen. « Si la deuxième compétition sportive la plus regardée au monde est organisée dans un pays ne respectant pas les droits humains les plus fondamentaux et laissant mourir des milliers d’ouvriers sur ses chantiers, est-il pertinent d’appeler à boycotter l’événement ? ».
C’est à cette question que sont sommés de répondre depuis quelques semaines les responsables politiques et les ONG. Et bien malin qui peut prétendre avoir la bonne réponse.
Boycotter, oui, mais comment
Tout d’abord, rares sont les organisations appelant explicitement à boycotter l’événement, c’est-à-dire à ne pas regarder les matchs en tant que spectateur ou à ne pas participer à l’événement en tant que joueur.
Côté partis politiques, un seul appelle clairement à ce boycott total. Il s’agit d’EELV, qui a pris position pour cette option à de multiples reprises par la voix de son secrétaire national déchu Julien Bayou. La mouvance écologiste semble la plus prompte à cet appel au boycott, puisque le groupuscule écolo radical « Extinction rébellion » emboîte le pas de leurs aînés en se fixant comme objectif de « faire annuler » la compétition, en voulant convaincre les footballeurs de renoncer à leur participation au profit d’une logique implacable : « s’il n’y a pas de joueurs sur le terrain, la compétition ne peut pas se tenir ».
Une logique qui tend à « faire reposer la responsabilité de ce mondial sur les supporteurs et les joueurs » selon le Mouvement jeunes communistes de France. Réuni en Conseil national à la fin du mois de septembre, les dirigeants du mouvement communiste de jeunesse se sont positionnés contre un appel au boycott, arguant que le boycott « à quelques semaines du premier match, relève plus d’une position individuelle et éthique que d’un mot d’ordre politique ayant des chances d’aboutir à une victoire ».
Si ceux-là résolvent l’équation facilement, d’autres optent pour une réponse un peu plus vaporeuse. Côté France Insoumise, 17 députés se sont fendus d’un communiqué n’appelant pas à un boycott complet, mais à un boycott « diplomatique » et « politique ». Entendez par là l’absence de représentation. Pour eux, « le gouvernement français et le Président de la République ne doivent pas participer aux cérémonies officielles et aux matchs de cette compétition. » Une position à laquelle s’est joint le premier secrétaire du Parti socialiste à titre personnel, le parti de la rose n’ayant pas de position officielle connue sur le sujet.
« Mettre en lumière les véritables responsables »
Ainsi, pour le Mouvement jeunes communistes de France, la question du boycott n’est plus à l’ordre du jour. « La Coupe du Monde se tiendra au Qatar le 20 novembre 2022, qu’on le veuille ou non. C’était il y a 12 ans qu’il fallait appeler au boycott. À l’époque, la CGT s’était retrouvée bien seule à lancer sa campagne contre la tenue de l’événement là-bas » rappelle Léon Deffontaines, secrétaire général de l’organisation. Le principal responsable pour l’organisation de jeunesse communiste ? La FIFA. Ils dénoncent une attribution « entachée de nombreuses accusations de fraudes », caractéristique selon eux des pires dérives du « foot business ».
Même son de cloche du côté du Secrétaire national du PCF, Fabien Roussel :
« avant de faire peser la responsabilité sur ceux qui sont amateurs de foot (…) moi je la fais poser sur ceux qui l’ont décidé, et sur ceux qui vont la financer : les sponsors ! »
Les organisations communistes ne sont pas les seules à vouloir faire de ce mondial un moment d’interpellations et de mise en lumière des dérives du foot business. L’ONG Amnesty International, à la pointe des dénonciations contre la compétition au Qatar depuis son attribution en 2012 a déclaré ne pas souhaiter boycotter l’événement : « On n’appelle pas au boycott. On estime que c’est pendant cette compétition qu’on peut braquer les projecteurs sur la situation », expliquait Sabine Gagnier, responsable du programme justice économique et sociale de l’organisation dans les colonnes de Ouest France.
L’ONG est partie prenante de la campagne internationale « Pay up Fifa » qui vise à imposer à la FIFA le versement de la somme de 420 millions d’euros aux familles de travailleurs et aux travailleurs en guise d’indemnisation pour les conditions de travail qu’ils ont subis.
Une victoire, au-delà du symbole, acterait une reconnaissance officielle par la fédération internationale de football des crimes commis par le Qatar et pourrait faire jurisprudence pour les compétitions futures. C’est cette volonté d’un « plus jamais ça » qui nourrit aussi la revendication des jeunes communistes d’une mise en place d’un cahier des charges extrêmement exigeant concernant les conditions de travail, les droits humains et le respect de l’environnement pour l’attribution des compétitions mondiales.
Le MJCF veut y lier une campagne d’interpellation des sponsors et de la FIFA, avec un rassemblement devant le siège de l’organisation internationale qui sera annoncé dans les prochains jours.
Et les joueurs alors ?
Si tout le monde semble s’accorder sur la responsabilité de la FIFA et du Qatar dans le scandale que représente cette compétition, le débat reste vif autour de la responsabilité des joueurs.
Mis à part pour les tenants d’un appel au boycott dur (voir plus haut), la question est soigneusement contournée par les organisations de gauche, pris en étau entre la responsabilité qui incombe aux sportifs en tant que personnalités publiques et l’importance que représente un tel événement pour la carrière d’un joueur.
« Les joueurs ont une responsabilité ! » tonne pourtant Léon Deffontaines. « Autant on ne peut pas leur reprocher de s’y rendre, autant il serait inadmissible qu’ils le fassent sans prendre position ». L’organisation compte interpeller les joueurs professionnels jusqu’à la coupe du monde pour les inciter à profiter d’une conférence de presse, d’un match ou d’un but pour faire passer un message fort. Une manière de résoudre le dilemme entre impératif sportif et politique.
C’est d’ailleurs ce lien entre sport et politique que veulent nouer les jeunes communistes en organisant des « Tournois pour la liberté » avant et durant le mondial, afin de promouvoir leur vision du football, comme une pratique populaire et mixte, comme un pied de nez à ce mondial organisé pour satisfaire des intérêts économiques, dans une dictature où le patriarcat fait loi.
Alors, qui sera ou non devant son écran le 22 novembre pour le premier match des bleus face à l’Australie ? Quoi qu’il en soit, les organisations politiques semblent bien déterminées à faire de ce temps un enjeu politique, par la démission pour certains, par l’action pour d’autres.