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Reflux des droits des salarié·e·s
Le 27 mai dernier une nouvelle loi a été adoptée afin de gérer la situation sanitaire. Celle-ci a notamment prolongé des dispositions exceptionnelles concernant les droits des salarié·e·s afin d’adapter ces derniers aux besoins de flexibilité des entreprises.
Jusqu’au 30 septembre donc, il sera possible, entre autre :
- Par un accord collectif d’entreprise de fixer le nombre maximal de renouvellement des CDD et des contrats de missions (intérim) qui pourront être réalisés dans l’entreprise
- De déterminer dans un accord d’entreprise les délais de carence, c’est-à-dire le temps pendant lequel on ne peut pas embaucher une même personne à un même poste avec un contrat précaire – autrement dit ce délai qui est censé dissuader la fraude concernant le recours aux contrats précaires peut être modulé par un accord d’entreprise ;
- Facilite le recours au prêt de main d’oeuvre à but « non » lucratif, tout en modifiant la définition de celui-ci permettant ainsi à l’une des entreprises de pouvoir réaliser un bénéfice sur l’opération de prêt d’un ou plusieurs salarié·e·s ;
- A un accord d’entreprise d’imposer 8 jours de congés payés, contre 6 l’été dernier.
Le Gouvernement avait déjà largement profité de la situation sanitaire pour porter un coup aux droits des salarié·e·s en faisant porter le coût de la crise sanitaire et économique sur le dos des salarié·e·s plutôt que celui du capital. Il ne fait que prolonger sa politique antisociale de sang froid.
Ces mesures viennent dans un contexte de reflux général des droits sociaux. On peut citer plusieurs réformes comme celle de l’assurance chômage ou encore la proposition de loi sur la santé au travail. A cela s’ajoutent des annonces sur une possible réforme des retraites au cours de l’été.
Reflux de la conscience de classe ?
Difficile de résister aux assauts du patronat et du Gouvernement face à un niveau de conscience et d’organisation qui semble affaibli. Engels écrivait que le suffrage universel est « l’indice qui permet de mesurer le degré de maturité de la classe ouvrière ». Les élections professionnelles nous offrent un indice plus précis encore basé sur les seuls suffrages des salarié·e·s.
Cet indice semble indiquer également un reflux de la conscience de classe. La dernière mesure de la représentativité a en effet été marquée par une confirmation de la CFDT comme première organisation syndicale avec 26,7% des suffrages et un recul de la CGT qui passe à 22,96%.
Rappelons que ce calcul est fait sur la base des élections des TPE et des élections des comités sociaux et économiques des entreprises d’au moins 11 salarié·e·s. Cela exclut donc toutes les entreprises de plus de 10 salarié·e·s dépourvues de CSE, soit près de 40.000 établissements fin juin 2020 d’après le comité d’évaluation des ordonnances Macron, dans lesquels les salarié·e·s n’ont pas pu voter.
Ce mode de désignation exclut donc un certain nombre de salarié·e·s dans le choix de l’organisation syndicale qui les représentera le mieux et limite ce choix dans les entreprises d’au moins 11 salarié·e·s aux seuls syndicats implantés. Or l’on sait qu’il y a une plus grande tolérance du patronat à l’implantation de certains syndicats.
Cela pose donc bien sûr la question d’une élection concernant tous les salarié·e·s et d’une élection permettant de voter sur sigle, c’est-à-dire de voter sur le projet revendicatif d’un syndicat. L’élection au CSE peut aussi très vite tourner à l’élection de celui qui distribuera le plus de chèques vacances, dans une conception assez éloignée des activités sociales et culturelles que celle qui est portée par la CGT.
Ces scores peuvent aussi s’expliquer par des facteurs sociologiques et par l’évolution de l’emploi en France. Depuis cette année, la France compte plus de cadres que d’ouvrières et ouvriers. Ils représentent respectivement 20,4% et 19,2% de la population active. La progression des cadres ayant commencé bien avant et le reflux des ouvrières et ouvriers également, notamment en raison de la désindustrialisation. C’est une analyse que nous avions déjà proposé lors de la précédente mesure de la représentativité.
Or la CGT est plus forte sur le premier collège, c’est-à-dire le collège « ouvriers et employés ». La base qui vote le plus CGT diminue quand la centrale syndicale peine encore à s’implanter et se développer dans les deuxième et troisième collèges, c’est-à-dire les ingénieur·e·s, cadres et techniciennes et techniciens.
On peut noter aussi le poids de l’idéologie et de la lutte médiatique contre la CGT qui ne contribue bien sûr pas à son développement, tentant de la monter systématiquement comme une force d’opposition et voire même à lui faire porter la responsabilité de la situation sociale et économique.