Au Burkina Faso, l’héritage impossible de Sankara

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Au Burkina Faso, l’héritage impossible de Sankara

Dans les artères bondées de Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso, des nuées de voitures cabossées ainsi que les fameux taxis verts qui emportent les habitants comme les touristes dans un confort relatif, mais toujours pour un prix modique. Sur ces véhicules, il n’est pas rare de trouver une vignette ou un sticker à l’effigie du grand révolutionnaire burkinabé, Thomas Sankara. Mais que reste-t-il de l’idéal marxiste-léniniste dans ce pays meurtri par le terrorisme et affaibli par une gouvernance pour le moins instable ?

Alors que la décolonisation se mettait progressivement en place sur le continent africain, les déstructurations profondes du système socioethnique entraînées par les politiques coloniales et impérialistes françaises ont aggravé encore la situation de pauvreté et la violence régnant dans l’ancienne Afrique-Occidentale Française (AOF). 

Dans ce contexte, Thomas Sankara n’aurait pu être qu’un général putschiste de plus, faisant reposer son pouvoir sur la privation des droits démocratiques de son peuple et sur la constitution d’une oligarchie capitaliste servant son pays sur un plateau aux intérêts économiques des grandes puissances occidentales. Ce jeune capitaine de l’armée burkinabè a en réalité permis à son pays de connaître une des plus grandes périodes révolutionnaires du continent tout en promouvant durant quatre ans un ensemble de mesures visant à briser l’emprise coloniale, patriarcale et bourgeoise pesant sur son pays.

Construire le socialisme burkinabé

La Haute-Volta (qui recouvre aujourd’hui le territoire burkinabé) sort de la colonisation française, établie de 1896 à 1960, non seulement durablement affaiblie sur le plan politique en raison notamment du manque de considération pour les réalités locales lors des découpages territoriaux, mais aussi encore structurée par l’organisation patriarcale et religieuse héritée du monde précolonial. 

De fait, le pays est marqué par une succession de soulèvements et de prises de pouvoir alimentées par une situation économique catastrophique. Les Burkinabés sont parmi les plus pauvres du continent.

En 1984, Thomas Sankara est un jeune officier aux idées neuves, inspiré par la révolution malgache de 1972 et voulant transformer la manière de former les cadres de l’armée burkinabè. Il ne participe pas aux premiers coups d’État qui marquent le début des années 1980, mais l’un d’eux le propulse au poste de chef du gouvernement. Rapidement, son progressisme le fait envoyer en prison d’où il est libéré et désigné président par un puissant mouvement populaire.

Jusqu’en 1987, la période sankariste reste celle de la transformation communiste du pays : il combat l’impérialisme occidental en refusant le paiement des dettes qui enchaînent les anciennes colonies françaises à leurs oppresseurs d’autrefois, il construit à travers ses Comités de Défense révolutionnaires (CDR) la possibilité d’une réelle démocratie locale et ouvrière, il met en place de nombreuses mesures contre l’emprise foncière et environnementale des grandes entreprises et des grands propriétaires. 

Durant quatre ans, il travaille à l’affaiblissement des systèmes patriarcaux dirigés par les chefs de tribu afin d’intégrer davantage les femmes au système économique et politique. Les dépenses somptuaires de l’État sont aussi très fortement réduites (tous les ministres et Sankara en premier lieu ne roulent plus que dans des Renault 5).

La France contre l’émancipation

Les gouvernements pseudosocialistes des premières années Mitterrand puis le gouvernement de cohabitation Chirac tenteront par tous les moyens de juguler le phénomène sankariste. 

L’action de la France et de François Mitterrand est aujourd’hui fortement soupçonnée autant dans le premier emprisonnement subi par le dirigeant burkinabé avant son arrivée au pouvoir que dans l’organisation de son assassinat le 15 octobre 1987.

Thomas Sankara avait en effet résolument choisi le camp des peuples en lutte. Sa détermination à mettre fin à l’impérialisme français en Afrique subsaharienne le poussa à nouer des liens solides avec les autres peuples en lutte à Cuba, en Palestine, au Sahara-Occidental. Devant ces positions, la France ne pouvait que s’alarmer de la fin de son emprise sur l’ancienne AOF. À travers l’alliance de plusieurs gouvernements africains soumis à elle comme la Côte d’Ivoire de Félix Houphouët-Boigny ou le Maroc d’Hassan II, mais aussi par le soutien à l’opposition droitière burkinabé représentée par Blaise Compaoré, elle travaille sans relâche à la fin de la première expérience socialiste d’Afrique de l’Ouest.

Le Burkina Faso dans la tourmente, la mise en commun recule

Durant vingt-sept années, le pouvoir de Blaise Compaoré, soutenu par la France, met peu à peu fin aux avancées sociales obtenues durant la Révolution. Paris retrouve son influence dans la région, les grandes entreprises d’État sont privatisées, une répression policière violente s’abat sur les aspirations démocratiques du peuple burkinabé. 

Aujourd’hui, alors que le pays connaît depuis presque dix ans une succession de prises de pouvoir militaires et d’attaques terroristes particulièrement meurtrières, l’horizon d’un retour de l’idéal sankariste semble s’éloigner pour les citoyens du « Pays des Hommes intègres ». Si l’intervention militaire française (peut-être pas portée seulement par un objectif stratégique) a réussi à temporairement enrayer la progression du djihadisme, sa fin ne semble pas présager de jours meilleurs pour le pays.

Marqués par une volonté de « négocier » avec les fondamentalistes islamistes, les nouveaux gouvernements putschistes de Ouagadougou ne semblent pas en mesure de répondre à l’urgence sociale pesant sur le peuple burkinabé. Malgré le souvenir encore vivace de la Révolution sankariste, les forces progressistes et communistes peinent à retrouver une voix et une place dans un pays en guerre.

Pourtant, Thomas Sankara a encore beaucoup à nous apprendre : le refus de l’impérialisme, qu’il vienne de la France ou de militants religieux, la construction de la paix, mais jamais aux dépens de l’émancipation du peuple. 


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