Réforme du lycée professionnel : les dégâts de l’utopie adéquationniste

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Réforme du lycée professionnel : les dégâts de l’utopie adéquationniste

Malgré le rejet massif de la réforme des retraites, le gouvernement remet au goût du jour la réforme du lycée professionnel.  

Réduction de l’apprentissage des savoirs généraux, augmentation de la durée des stages, fermeture de filières… Le moins que l’on puisse dire, c’est que le projet d’Emmanuel Macron est clair : fournir au patronat la main-d’œuvre dont il a besoin, et qu’il peine à trouver faute de garantir des contrats, des conditions de travail et un salaire acceptables.

L’un des piliers sur lequel repose cette réforme est l’adaptation de la carte des formations aux besoins immédiats et locaux des entreprises sur tout le territoire. 

Concrètement, le gouvernement se donne pour ambition de renouveler un quart des diplômes existants d’ici à 2025 en démultipliant le nombre de fermetures et d’ouvertures de filières chaque année. Dès la rentrée de septembre 2023, ce sont des centaines de lycées qui seront impactés, si ce n’est pas menacé de fermeture. 

Mais pourquoi vouloir une adéquation entre l’offre de formation et les emplois disponibles ? Cette visée adéquationniste de l’enseignement professionnel a-t-elle un sens ? Quelles en sont les conséquences immédiates ? 

Des inégalités d’accès aux formations professionnelles

En réfléchissant la formation professionnelle en adéquation aux besoins des entreprises qui exercent à proximité du lycée, les jeunes qui y sont confrontés ne sont plus pensés comme des élèves, mais bien comme une main-d’œuvre exploitable et disponible. Dès lors, cette visée adéquationniste produit des inégalités d’accès conséquentes aux diverses formations professionnelles. 

À défaut d’aller vers une démocratisation de l’enseignement — qui devrait être l’une des priorités pour réformer le lycée professionnel — Emmanuel Macron et Pape Ndiaye font le choix de transformer nos établissements en armée de réserve pour les capitalistes.

Pourtant, les dernières réformes de l’éducation ont démontré les lacunes importantes en termes de politique publique pour l’orientation des élèves, et on le sait, les jeunes envoyés en lycées professionnels sont ceux les plus en difficulté, souvent en dépit de leurs aspirations personnelles. Avec la réforme du lycée professionnel, ces derniers n’auront même plus le choix des métiers qu’ils souhaitent faire puisque les formations ne seront disponibles que sur un territoire donné. Vous rêviez d’être plombier ? Dommage, il fallait habiter ailleurs. 

Moins de lycéens, plus d’apprentis !

Le deuxième effet de la visée adéquationniste est l’accélération du développement de l’apprentissage au détriment de l’enseignement professionnel. La flexibilité de la carte scolaire voulue par le gouvernement est propice au développement de l’apprentissage dans plusieurs secteurs de métiers. 

Disons-le : les fermetures de filières professionnelles chaque année, ne seront pas systématiquement compensées par l’ouverture d’autres ! Pour rendre opérante cette flexibilité, le mécanisme employé par le gouvernement est simple : fermer brutalement les filières scolaires, ouvrir largement les formations en apprentissages. 

Par exemple, dans le secteur des services — qui concentre déjà aujourd’hui plus de 70 % des contrats d’apprentissages — les ouvertures de formation annoncées sont déjà plus importantes en CFA qu’en lycée professionnel. 

Pour ce qui est des dizaines de fermetures de filières, comment peut-on garantir que la formation de ces métiers ne va pas désormais se développer par l’apprentissage ? Ce mécanisme de glissement qui s’opère déjà pour la rentrée de septembre 2023 risque de s’accélérer dans les mois à venir ! 

Si la différence entre le lycée professionnel et les Centres de Formation d’Apprentis (CFA) peut paraître abstraite, elle est en réalité déterminante. En effet, contrairement à l’apprenti, le lycéen, qu’il soit en voie générale, professionnel ou technique possède un statut scolaire à part entière : il est donc encadré par le système scolaire et le ministère de l’Éducation nationale. A contrario, l’apprenti placé en CFA possède un statut de salarié, sous la responsabilité d’un maître d’apprentissage. 

Un plan social qui ne porte pas son nom ? 

Cette casse du lycée professionnel s’accompagne d’une précarisation de plus en plus poussée des métiers de l’enseignement. Pire, la flexibilité que le gouvernement souhaite mettre en place sur la gestion des différentes filières du lycée professionnel s’apparente à un gigantesque plan social qui ne porte pas son nom. 

Comment peut-on se former en tant que professeur sur les différents savoirs professionnels et leurs apprentissages lorsque les filières sont en constante évolution ? Avec la réforme du lycée professionnel, l’apprentissage d’un métier en est réduit à celui des gestes techniques. 

Dès lors, les professeurs des filières menacées de fermeture n’ont pas 36 possibilités : entamer un processus de reconversion complet, avec la possibilité, comme l’a annoncé Emmanuel Macron, de se diriger vers l’enseignement dans d’autres structures scolaires, notamment dans les écoles élémentaires et primaires. Cette volonté de reclasser certains professeurs de lycée professionnel dans le 1er degré est une démonstration cinglante de la méconnaissance et du peu d’intérêt que porte le gouvernement aux métiers de l’éducation. 

Comme le souligne le SNUEP-FSU (syndicat majoritaire en lycée professionnel), cette proposition n’a aucun sens : demande-t-on à un maçon de construire une charpente ? 

En réalité, cette réforme pousse les professeurs vers la démission : quand bien même cette reconversion peut intéresser certains professeurs de lycée professionnel, ils n’auront certainement que très peu de temps à y accorder durant l’année scolaire. Ce qui convient parfaitement à Emmanuel Macron et Pape Ndiaye, engouffrés dans cette volonté de développer l’apprentissage au détriment de l’enseignement professionnel.

L’utopie adéquationniste

En résumé, la logique adéquationniste, c’est l’explosion des inégalités d’accès aux formations ; l’essor de l’apprentissage au détriment du lycée professionnel ; la mise à la porte des professeurs de lycée professionnel. Mais ce qui est le plus aberrant, c’est que cette vision de la formation professionnelle est d’ores et déjà un échec. 

Enfermer le lycée professionnel dans une logique d’adéquation territoriale est un énorme gâchis, d’autant plus lorsque l’on sait que les « besoins patronaux » au centre de cette réflexion peuvent évoluer à tout moment. Ces derniers ne répondent qu’à des logiques de rentabilités abstraites, qui ne seront pas les mêmes dans 10 ans ! Cette vision court-termiste est un non-sens lorsque l’on sait les défis auxquels nous sommes confrontés, notamment en matière de réindustrialisation du pays. 

Calquer le temps des « besoins de recrutement » et celui de la formation est par nature absolument impossible ! 

À l’inverse, les communistes ont une tout autre vision de l’enseignement professionnel. 

Partout sur le territoire, nous devons ouvrir des formations qui répondent aux besoins des populations et aux enjeux industriels, sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés ! 

Plutôt que de répondre à ces logiques court-termistes, nous devons avoir une véritable planification démocratique des besoins en formations en fonction des défis à relever demain.


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