Réforme du bac professionnel : le retour de l’illusion du choix

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Réforme du bac professionnel : le retour de l’illusion du choix

Critiquée unanimement par les syndicats enseignants, la réforme du baccalauréat va bouleverser profondément les calendriers scolaires. Parmi les mesures, l’augmentation de la durée des stages occupe une place importante. Alors qu’Emmanuel Macron envisageait à l’origine de l’augmenter pour tous, la mouture finale de la réforme la rend optionnelle, pour les élèves qui en font le choix en année de terminale. Mais derrière cette illusion du “libre choix” se cachent, comme toujours, les inégalités de classe et de genre. 

La question du choix au cœur des réformes libérales

C’est une constante chez les libéraux, et particulièrement chez Emmanuel Macron. Chaque contre-réforme est faite au nom de la sacrosainte liberté des jeunes à choisir leur avenir. Ainsi en était-il déjà en 2018 de la “loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel” qui consistait en réalité à vendre l’apprentissage aux intérêts des patrons. La mise en place de Parcoursup, qui éjecte chaque année plusieurs dizaines de milliers de jeunes de l’enseignement, a, elle aussi, été accompagnée d’éléments de langages autour de liberté offerte aux jeunes de choisir leurs études. Rappelons-nous aussi d’Emmanuel Macron, alors Ministre de l’Économie qui vantait la “liberté” laissée aux salariés de travailler le dimanche alors que sa loi offrait un levier de chantage à l’emploi inédit au patronat et que rares sont ceux travaillant le dimanche par choix. 

À chaque fois, la logique est la même : nier que les prétendus “choix” des jeunes et des travailleurs sont régis par tout un tas de contraintes, financières, symboliques, de genre, qui conditionnent fortement leur action. 

L’exemple le plus flagrant est à trouver dans le choix des spécialités dans les lycées généraux. En supprimant les filières (L, S et ES) au profit d’un bac “à la carte”, le gouvernement a laissé se reproduire les pires inégalités sociales et de genre. Résultats : la part des filles dans les filières scientifiques est revenu au niveau de 1990 après 30 années d’efforts, et les élèves des classes populaires sont concentrés dans un nombre de spécialités toujours plus réduites. Des résultats qui n’auront étonné que les membres du gouvernement, tant ceux-ci étaient prévisibles pour quiconque a l’honnêteté intellectuelle de se fier aux travaux sociologiques sur la question depuis des années.  

La démagogie pour faire passer la pilule 

Pourtant, et malgré tous les faits scientifiques montrant que le “libre choix” n’existe pas, le gouvernement a en main un outil essentiel : la démagogie. En effet, allez demander à un travailleur ne parvenant pas à boucler ses fins de mois s’il veut travailler le dimanche pour augmenter son salaire, il répondra immédiatement par l’affirmative. De la même manière, proposez à un lycéen en difficulté en mathématiques d’abandonner cette discipline, il sautera sur l’occasion et saluera une réforme qui lui aura permis de “choisir” les disciplines dans lesquelles il réussit mieux. 

Dans les deux cas, le “libre choix” est en réalité un faux dilemme. C’est en l’absence de bons salaires que le “choix” de travailler le dimanche est fait. C’est aussi en l’absence d’un système éducatif qui permet à chacun de réussir, que certains se ravissent d’abandonner telle ou telle discipline dès l’âge de 15 ans. 

C’est encore ce faux choix qui est proposé par le gouvernement à travers sa réforme en offrant aux lycéens professionnels la possibilité de terminer son année de terminale soit par des “cours intensifs”, soit par un long stage rémunéré. Les élèves les plus en difficulté scolaires choisiront sans hésiter d’abandonner les enseignements au profit de stages, quand celles et ceux les plus en réussite poursuivront sans effort les cours pendant quelques semaines. Au-delà même des résultats, c’est le rapport même des jeunes et de leurs familles à l’école qui déterminera le choix. Les plus convaincus de l’importance des études ne feront pas le même choix que ceux ayant un rapport conflictuel avec l’institution scolaire. 

Étudier ou travailler, il faut choisir 

Relevons d’abord que le “choix” laissé aux élèves relève d’un mépris de classe féroce. Dans sa communication, le gouvernement précise qu’une fin d’année en “cours intensifs” est destinée aux élèves souhaitant continuer leurs études dans l’enseignement supérieur. Les stages seront, eux, réservés à ceux voulant entrer sur le marché du travail à la fin de l’année de terminale. Le message est donc clair : ceux qui vont travailler très bientôt n’ont plus besoin de mathématiques, de français, d’histoire ou de sport, il faut les envoyer immédiatement dans les bras des patrons. 

Au-delà, il s’agit d’une attaque en règle contre le droit à la formation. Augmenter la durée des stages, c’est réduire d’autant le volume des enseignements généraux. Pourtant, le baccalauréat professionnel a déjà été raboté d’une année entière en 2009. Pour les élèves choisissant une fin d’année en stage, ce sont deux mois supplémentaires de cours qui seront supprimés, contribuant ainsi à une déqualification croissante des futurs travailleurs

Combiné à la gratification offerte durant les stages, le “choix” de finir son année en stage risque de se transformer en chantage financier pour nombre de jeunes. En effet, une élève ayant besoin d’argent pour financer son été ou même aider sa famille risque  de choisir de terminer son année par des stages et ainsi gagner quelques centaines d’euros plutôt que de continuer les cours. Pire, au vu de la faible rémunération du stage, certains risquent tout simplement d’arrêter l’année scolaire une fois les épreuves du bac passées en avril pour aller occuper un emploi temporaire rémunéré au SMIC. 

Laisser les élèves choisir, c’est donc choisir de laisser des jeunes abandonner leurs études pour gagner rapidement un petit peu d’argent. 

La fin de l’ambition d’une culture scolaire commune

Quand bien même chaque lycéen serait en mesure d’effectuer un choix libre et éclairé, cette volonté de rendre modulable la fin de l’année scolaire est problématique.

Tout comme celle du lycée général, la réforme de l’enseignement professionnel conduit à une spécialisation précoce des jeunes. Enfermer avant 18 ans des jeunes dans des filières ou des cursus aura de fortes conséquences sur d’éventuelles réorientations. Considérer qu’à à peine 16 ans , un jeune a toutes les cartes en main pour choisir d’arrêter une discipline , ou dans le cas du bac pro, d’arrêter tout simplement les cours en avril , c’est partir du principe que celui-ci suivra une trajectoire linéaire. La simple observation des parcours scolaire montre bien que ceux-ci sont souvent faits d’essais, d’erreurs, d’allers-retours, que ne permettent pas une telle spécialisation, d’autant plus avec Parcoursup. 

À travers cette notion du choix, le gouvernement avance en réalité dans son projet d’une école à deux vitesses. D’un côté, celles et ceux qui travailleront vite et qui, donc , n’ont pas besoin d’enseignements généraux.

De l’autre, les plus méritants – entendez par là les plus favorisés – qui ont le droit à des cours enseignés auprès des professeurs.

Au contraire, une véritable réforme de l’enseignement professionnel viserait à avoir une ambition commune pour chaque élève , quels que soient son niveau scolaire et son origine sociale, pour atteindre un objectif commun : former l’homme, la femme, le citoyen, la citoyenne, le travailleur, la travailleuse de demain. 


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