Suppressions de postes, nouveaux programmes, évaluations nationales, transformation des concours… Les réformes au sein de l’école primaire (de la petite section au CM2) s’enchaînent depuis plusieurs années. Moins médiatiques que les annonces concernant le collège ou le lycée, celles-ci jouent pourtant un rôle central dans le projet libéral et de ségrégation social d’Emmanuel Macron pour l’école.
Pour discuter de ces enjeux, l’Avant-Garde est allée à la rencontre de Guislaine David, co-secrétaire générale du FSU-SNuipp, syndicat majoritaire des enseignants du premier degré.
Le budget 2025 prévoit 4 000 suppressions de postes de professeurs. L’école primaire est celle qui paye le plus lourd tribut avec 3155 postes en moins. Comment expliquer une telle saignée, et quelles conséquences sont à craindre ?
Honnêtement, on ne s’attendait pas à autant. L’année dernière, 1200 postes devaient être supprimés, mais il n’y en avait finalement eu “que” 650 car Gabriel Attal était revenu dessus. Donc d’une certaine manière, on savait qu’on avait pris un crédit pour l’année suivante. Mais là, 3155 postes supprimés, c’est une vraie saignée. Les 650 suppressions de postes de l’an passé se sont traduit par 1700 fermetures de classes. Donc avec 3155 postes en moins, il y aura énormément de classes fermées. Il y a des écoles entières qui vont fermer, et pas que dans les villages, à Paris aussi. Cela aura forcément des conséquences sur les effectifs par classe.
Le gouvernement met en avant des baisses d’effectifs d’élèves à prévoir pour justifier ces suppressions. Que répondez-vous ?
On a une moyenne nationale d’élèves par classe qui est loin de la moyenne européenne. Nous avons des effectifs plus élevés que les pays qui réussissent le mieux en matière d’éducation. Il faudrait donc au contraire profiter de la baisse d’effectifs pour faire baisser le nombre d’élèves par classes. Le gouvernement nous dit que ces suppressions ne vont pas faire augmenter les effectifs par classe. Mais on parle de moyennes, donc dans certains endroits, il y aura des classes extrêmement chargées, et dans d’autres beaucoup moins. Dans certains milieux ruraux, il n’y a “que” 15 élèves par classe. Mais si on ferme une classe, ils vont se retrouver à 30 par classe, ce qui est beaucoup trop. Il faut donc accepter qu’il y a des effectifs qui soient faibles dans certaines régions, pour que l’on puisse maintenir un service public de l’éducation partout, sur tout le territoire. L’école, c’est souvent le dernier service public qui reste dans un village.
À l’inverse, vous revendiquez donc des créations de postes dans l’école primaire. Quels sont les besoins ?
Au SNUipp, nous sommes pour qu’il y ait 20 élèves par classe maximum. L’école a changé. On doit faire face à des situations de harcèlement, mais aussi inclure des élèves en situation de handicap, ce qui aujourd’hui se passe mal alors que cela devrait bien se passer. Avec 20 élèves par classe, il est plus facile de s’adapter aux besoins de chaque élève que quand on frôle les 30. Il y a donc besoin de recruter des enseignants, mais aussi des enseignants spécialisés pour favoriser l’inclusion des élèves en situation de handicap. Il y a aussi un besoin de remplaçants pour que les élèves continuent à apprendre lorsque leur professeur est malade.
Ces annonces ont mis les projecteurs sur l’école primaire, dont on parle moins souvent que le lycée ou le collège. Quelles sont les spécificités de l’école primaire en France ?
Le cœur de l’école primaire, c’est d’apporter un socle commun pour tous les élèves, d’offrir une culture commune. Chaque élève doit pouvoir accéder à toutes les connaissances et compétences pour pouvoir faire le choix, ensuite, de son orientation et de sa vie future. C’est un enjeu particulièrement important pour les élèves des milieux populaires.
Au SNUipp, on considère que l’école est surtout faite pour ces élèves-là. Elle est bien sûr faite pour tous les élèves, mais avant tout pour ceux-là. On sait que les élèves qui viennent des milieux privilégiés ont accès à la culture littéraire, scientifique, artistique chez eux. Pour beaucoup d’autres élèves, s’ils n’ont pas cela à l’école, ils ne l’auront nulle part et on ne va pas les amener vers l’émancipation. Donc le rôle de l’école primaire, c’est d’être ce moment où l’on acquiert une culture commune qui doit être large. Le gouvernement est lui à l’opposé de ça, puisqu’il veut réduire l’école primaire à son minima, avec des compétences mécaniques et simplistes, qui ne vont pas permettre à certains élèves de s’émanciper et de faire des choix.
Vous dénoncez donc cette volonté d’un retour aux “fondamentaux” (lire-écrire-compter) que prône le gouvernement ?
La France est déjà le pays qui consacre le plus d’heures aux fondamentaux en Europe, et pourtant, on n’y arrive pas. Donc, il faut se poser des questions. Mais au sein même de ces fondamentaux, on constate un resserrement sur certaines compétences. Par exemple, en lecture, on nous demande d’insister plus sur le décodage (la capacité d’un élève à faire faire correspondre des lettres avec des sons – NDLR) ou la vitesse de lecture que sur la compréhension. Ce resserrement, il implique beaucoup d’injonctions sur les pratiques des enseignants. On nous donne une feuille de route qu’il faut appliquer. C’est méprisant pour les enseignants, qui sont vus comme de simples exécutants, et non comme des concepteurs. Cela a des conséquences sur les jeunes collègues particulièrement, qui, pour certains, n’osent presque plus faire autre chose que des maths et du français. Les élèves, eux, sont censés suivre la feuille de route, sans que l’on tienne compte des difficultés de chacun. Cela repose sur une conception de l’élève complètement fictive, qui serait capable d’avaler tout ce qu’on a à lui donner, au même rythme.
Vous avez lancé à la rentrée une journée de grève contre les évaluations nationales standardisées que doivent faire passer les enseignants en début d’année. Pourquoi une telle opposition ?
Il faut d’abord dire que l’action d’évaluer, elle est au cœur du métier de chaque enseignant. Mais l’évaluation doit être au service de l’élève, pour qu’il puisse savoir où il en est. Donc il n’y a pas d’opposition au fait d’évaluer les élèves, au contraire. Cependant, les évaluations nationales standardisées n’évaluent qu’une petite partie du programme, et elles mènent au bachotage. Elles ne sont là pour aider ni les élèves, ni les enseignants, mais pour piloter les pratiques pédagogiques des enseignants. Sur la base de ces évaluations, le Ministère va décider qu’il faut désormais mettre le paquet sur certaines compétences, va développer certaines formations.
Pourtant, il est utile d’évaluer le système éducatif, non ?
Bien sûr qu’on a besoin de savoir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Mais cela existe déjà, c’est le rôle de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). Elle réalise des panels, qui permettent d’avoir une vision globale. La photographie précise de sa classe, chaque enseignant l’a par sa pratique et sa connaissance des élèves, on n’a pas besoin d’évaluations standardisées. Au SNUipp, nous appelons les enseignants à ne pas faire passer ces évaluations, mais on sait que c’est difficile, car il y a des pressions de la hiérarchie, et il y a déjà eu des sanctions contre des collègues qui avaient refusé. Aujourd’hui, cela reste un acte très minoritaire, ce qui expose beaucoup les collègues qui le font. C’est une question de rapport de force. Si nous sommes majoritaires à ne pas le faire, alors cela peut permettre d’éviter les sanctions et de gagner.
Ces évaluations nationales concernent aussi désormais l’école maternelle, qui est aussi concernée par une réforme des programmes. Que disent ces nouveaux programmes ?
Ces programmes s’attaquent à ce qui fait la spécificité de l’école maternelle. L’arrivée à l’école maternelle, c’est une première socialisation, mais aussi un apprentissage à devenir élève. Au contraire, ces programmes sont imaginés comme si on avait affaire à des élèves imaginaires, qui n’existent pas. Ils disent qu’à 4 ans, les enfants doivent savoir faire ceci, à 5 ans cela, etc. Pourtant, on sait que les apprentissages prennent du temps. Tous les enfants n’apprennent pas à parler en même temps, à marcher en même temps… Il faut donc donner du temps aux enfants, ce qui est l’inverse de ce que proposent ces programmes. Si on va trop vite, on va perdre certains élèves. Au niveau du graphisme par exemple, il faut prendre le temps, car c’est la conscience de son propre corps qui fait qu’un enfant va finir par être capable de tenir un stylo. Et cela, on ne peut pas le programmer.
Un autre exemple, sur l’apprentissage du français. Les nouveaux programmes ne le prennent que sous l’angle de la langue telle qu’elle est structurée autour de la lecture et de l’écriture. On n’est pas sur une prise en compte du langage dans toutes ses dimensions.
Ces programmes sont des feuilles de routes, avec même des exercices proposés. Mais ce n’est pas le rôle de programmes.
On parlait de la question du recrutement des professeurs tout à l’heure. Cela passe donc par une formation suffisante. Quel projet portez-vous ?
Nous sommes pour un passage du concours en Licence 3, avec ensuite deux années de formations rémunérées et l’obtention d’un Master. Ces deux dernières années ne doivent pas êtres des années de stage, mais bien de formation. Cela doit permettre des allers-retours entre la classe, la recherche et la formation. Les étudiants iraient donc parfois dans des écoles, mais sans avoir la responsabilité de la classe, car l’objectif est d’apprendre. Aujourd’hui, on utilise les stagiaires pour compenser le manque de professeurs.
Le gouvernement porte lui un projet de licence “Professeurs des écoles”. Qu’en pensez-vous ?
Nous nous y opposons. Cette licence va réduire le métier à une forme de polyvalence qui n’est pas celle que nous voulons. Nous croyons à la polyvalence des équipes, c’est-à-dire qu’au sein d’une équipe enseignante, on a des professeurs qui ont une licence en mathématiques, d’autres en sciences de l’éducation, d’autres en lettres. Les échanges entre ces enseignants doivent permettre une complémentarité dans les équipes et des échanges de service entre professeurs. La licence que veut créer le gouvernement, ça va être du saupoudrage dans plusieurs disciplines, avec une place de la pédagogie et de la didactique réduite. C’est aussi une attaque contre la recherche. Il y a une volonté de reprendre en main la formation par l’Éducation nationale, alors que celle-ci est aujourd’hui une formation universitaire, qui ne nourrit des travaux de chercheurs.
Pour conclure, que diriez-vous à un jeune pour le convaincre de s’engager dans le métier de professeur des écoles ?
Il y a de grosses difficultés dans le métier, ça se sait et ça se voit. Mais c’est un métier qui est quand même formidable. La transmission des savoirs, l’émancipation des élèves, voir un élève évoluer tout au long de sa scolarité, l’aider à grandir, ça a quelque chose d’assez magique. Dans le premier degré, on a notre classe toute la journée, toute la semaine, toute l’année. C’est une vraie microsociété, avec des règles, des échanges, qui sont très riches. Même d’un point de vue personnel, on est toujours enrichi par ce qu’il se passe en classe. Lorsque l’on regarde dans tout le pays, il y a des projets formidables dans les classes, parfois en dehors des injonctions ministérielles, et c’est tant mieux.
Moi, j’adore faire ce métier, car on peut faire des choses passionnantes. Et puis il y a une forme de gratification de la part des élèves et des parents, ce qui est important. Je conseille vraiment aux jeunes de faire ce métier, mais il faut savoir que c’est un engagement, ce n’est pas un métier comme un autre.