Il y a un an, la moitié du parc nucléaire français était à l’arrêt, faisant peser la menace d’une panne d’électricité pendant l’hiver. En août 2022, Jean-Bernard Lévy, alors PDG d’EDF, déclarait : “On a beaucoup de chantiers à mener en parallèle. D’une certaine manière, on manque de bras, car on n’a pas assez d’équipes.” Les conséquences de la maltraitance de nos centrales avaient conduit à la mobilisation de 600 travailleurs étrangers, essentiellement américains et canadiens, pour venir à leur secours.
Le lunatisme avec lequel le nucléaire a été traité par les différents gouvernements mène au pire des résultats. Il y a urgence à former une nouvelle génération de travailleurs dans cette industrie, que la France est un des pays à maîtriser le mieux, afin d’être à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux qu’il faudra, quoi qu’il arrive, surmonter demain.
Des antécédents politiques à la décrépitude du parc français
Lors de son arrivée au pouvoir en 2012, François Hollande promettait de réduire la part du nucléaire à 50% du mix énergétique français. Cette ambition, incarnée par l’engagement du président socialiste de fermer la centrale de Fessenheim, relevait déjà plus du dogme que de la volonté de tracer une trajectoire claire en matière de production électrique.
Lors de son audition au Sénat en juin 2021, Jean-Bernard Lévy dénonçait la fermeture de la centrale qu’il considérait comme la réalisation d’une promesse de campagne. Le site de Fessenheim, qui était depuis longtemps la cible de critiques, ne présentait pas de menaces sur les plans sécuritaire et économique.
L’arrivée à l’Elysée d’Emmanuel Macron en 2017 ne change pas la donne sur la question. Il s’inscrivait à l’époque dans la continuité du quinquennat Hollande et assurait vouloir garder le cap des 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité. Cette volonté de concentrer les efforts de la transition énergétique sur le “tout renouvelable” a nourri un désintérêt pour la filière atomique.
Pourtant, tourner le dos à la source d’énergie qui produit les deux tiers de l’électricité du pays semble être une idée fumeuse. Les désinvestissements n’ont pas miraculeusement résolu le problème et les ont même aggravés. L’arrêt de la moitié des réacteurs du parc national l’hiver dernier en est la preuve la plus criante.
Les carences de nos centrales s’expriment avec le plus d’intensité dans le manque de main-d’œuvre. Cette donnée est à prendre très au sérieux si l’on veut garantir la sûreté des installations et éviter d’avoir à faire appel à des travailleurs étrangers.
Cette préoccupation est d’autant plus capitale que le chef de l’État annonçait la construction de six EPR à l’horizon 2035, qui nécessiteront, eux aussi, des travailleurs formés et en nombre suffisant pour les faire fonctionner.
L’enjeu de formation de la nouvelle génération aux métiers du nucléaire
L’annonce d’Emmanuel Macron de la construction de six nouveaux EPR affronte une réalité peu rassurante. Les chantiers de ces sites vont demander la mobilisation de milliers de travailleurs, de toutes qualifications et pendant de longues années. À titre de comparaison, les travaux de construction et de déploiement de l’EPR de Flamanville ont débuté en 2007 et EDF prévoit sa mise en service pour le premier trimestre 2024.
La construction de six EPR, en parallèle des chantiers de rénovations des centrales plus anciennes, exige la création de 100 000 emplois. Le meilleur choix que pourrait faire le gouvernement serait de miser sur la jeunesse. Elle est la solution pour garantir au nucléaire français une plus grande longévité et des travailleurs qualifiés sur le long-terme.
Métallurgistes, forgerons, mais surtout soudeurs : les débouchés sont nombreux et les formations professionnelles à destination des jeunes se multiplient. Avec les perspectives d’embauche qu’ouvrent les annonces de construction d’EPR, il est devenu indispensable de valoriser ces métiers industriels de pointe qui ont pratiquement disparu.
Ces emplois sont utiles pour la transition énergétique, à la fois en assurant une production continue d’électricité décarbonée et en permettant de maintenir les faibles coûts de notre énergie atomique. Investir dans la formation de la nouvelle génération aux métiers de cette filière constitue l’opportunité de remplir les postes vacants avec un personnel nouveau, tout en exerçant un contrôle sur les conditions de travail et les rémunérations à l’arrivée de ces jeunes travailleurs.
Si cette ambition se réalisait, il se pourrait que les conditions soient finalement réunies pour qu’enfin le sujet de la production d’électricité ne soit plus un sujet de discorde… du moins si l’on omet de s’infliger les opinions anti-science.
Toutefois, si une politique massive de formation est une porte de sortie à cette crise, le parachèvement de cette démarche réside aussi dans l’urgence d’en finir avec les dispositifs concurrentiels qui sabotent l’entreprise nationale. Le dispositif de l’ARENH, qui organise le pillage de la production d’EDF au profit des entreprises concurrentes, est à abandonner au plus vite. L’électricité est avant tout un bien de première nécessité.
Le maintien de la France dans le marché européen de l’énergie et sa soumission aux logiques concurrentielles ont des conséquences désastreuses. Pour autant que nous restions dans ce système, la fourniture d’électricité en France continuera de plafonner à des prix jamais vus et les travailleurs seront confrontés entre eux à la faveur du dumping social.
La formation de la jeunesse aux emplois du nucléaire : un défi pour maintenir les exigences de sécurité
Si les dispositifs de sécurité dans une centrale nucléaire sont indispensables à son exploitation sereine, leur application ne saurait être possible sans la prise en compte du facteur humain. Améliorées au gré des catastrophes de Tchernobyl et Fukushima, nos normes de sûreté nucléaire sont parmi les plus strictes du monde.
L’absence de personnel suffisant rappelle le défi technique que représente l’exploitation d’une centrale. L’arrêt de la moitié des réacteurs du parc français l’hiver dernier, en raison de corrosions jusqu’alors non découvertes, replace la question de la sécurité au cœur des préoccupations. Le nucléaire, en tant que source d’électricité la plus performante, n’en reste pas moins la plus exigeante.
La crise de l’hiver 2022 a conduit la France à importer plus d’électricité qu’elle n’en a exporté sur l’année, grande première depuis 1980. Ce mois de décembre, la production devrait enfin retrouver son niveau d’avant la découverte des problèmes de corrosion en février 2022.
Cet épisode doit servir de leçon pour l’avenir. Il est impossible de mener la bataille de la transition écologique en négligeant l’emploi dans le nucléaire. Nos voisins d’outre-Rhin en sont l’exemple le plus scandaleux, l’abandon de l’atome les ayant conduits à se reposer sur le charbon. À l’inverse, la Chine innove en ouvrant cette semaine la toute première centrale nucléaire de quatrième génération dans le monde.
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Le futur du nucléaire repose sur la jeunesse. Ces emplois utiles représentent le moyen le plus sûr d’assurer la pérennité des exploitations et de ne pas réitérer les erreurs commises dans le passé : ils seront à l’avant-poste des combats sociaux et environnementaux de demain.