Entretien avec Léon Deffontaines 

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Entretien avec Léon Deffontaines 

Depuis que tu as été désigné cet été pour représenter les communistes aux élections européennes, tu abordes beaucoup les questions environnementales. Est-ce que tu penses que l’UE, telle que nous concevons son rôle, permettra de faire bouger les choses à ce sujet ?

L’Union européenne, telle qu’elle est conçue actuellement, est incapable de répondre à l’urgence climatique. Le Green Deal, qui aurait pu être une lueur d’espoir, s’avère être une coquille vide. Où est la remise en question des logiques économiques qui nous ont menés à cette impasse ? Où est l’engagement ferme en faveur de politiques qui protègent notre environnement, plutôt que de le sacrifier sur l’autel du profit ? La Commission européenne propose des plans qui sont non seulement insuffisants, mais qui maintiennent également notre dépendance à un système économique concurrentiel et destructeur.

Cependant, l’échelle européenne doit nous permettre de répondre à l’urgence climatique qui exige un changement radical. Nous devons être moteurs de nouvelles coopérations différenciées, qui nous permettent de tirer les pays vers le haut. Écoutons le GIEC. Écoutons les scientifiques qui sonnent l’alarme depuis des années. Ils nous disent que nous devons agir maintenant. Les investissements nécessaires pour assurer la transition écologique doivent être massifs. Il est temps de rompre avec les politiques qui nous ont menés à cette situation catastrophique. L’Union européenne doit s’émanciper des logiques de marché et placer la protection de notre environnement au cœur de ses priorités.

Le mouvement de contestation qui émane du monde agricole révèle un certain rejet des élites nationales et bruxelloises, a priori déconnectées de la réalité des campagnes. Récemment, tu as évoqué le nouveau permis de conduire que le Parlement européen prévoit pour les tracteurs. Pourquoi une telle mesure n’irait pas dans le bon sens ?

Effectivement, la mise au vote de cette directive au lendemain de l’ouverture du Salon de l’agriculture est une véritable provocation. Quelques semaines après l’éclatement de la colère des agriculteurs en France et en Europe, où tous ont dénoncé une institution déconnectée de leurs réalités,  l’Union européenne s’est illustrée dans ce qu’elle a de plus cynique.

Actuellement, les exploitants d’au moins 16 ans conduisant des véhicules agricoles ou forestiers sont dispensés de permis. Cette directive sur le permis de conduire avait pour ambition, sous couvert de sécurité routière, d’en finir avec cette exemption. Concrètement, derrière une telle mesure, c’est l’harmonisation des permis agricoles, qui existent déjà dans certains pays européens, qui est posée au débat. En cassant les réglementations nationales, l’Union européenne souhaitait offrir la possibilité, pour futurs détenteurs, de travailler sur tout type d’exploitation, dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. Une telle réglementation ouvre la voie à une augmentation drastique du travail détaché, et à terme à une certaine ubérisation des salariés agricoles déjà très précaires.

Au final, la mobilisation des communistes a permis d’empêcher le vote de la directive ! Pas encore au Parlement, mais déjà des victoires.

Qui dit Union européenne, dit aussi politique agricole commune. La France est la première bénéficiaire de la PAC, dont on sait pourtant que le fonctionnement n’est pas parfait, voire incite à la surproduction. Les communistes, André Chassaigne en tête, proposent-ils une alternative à cette aide, contrairement au Rassemblement national ?

La PAC, telle qu’elle existe aujourd’hui, ne répond pas pleinement aux besoins de notre société. Elle favorise les grandes exploitations au détriment des petites et moyennes structures, et encourage l’accumulation des terres et la surproduction, l’élevage industriel intensif, la mise en concurrence des exploitants agricoles, en France et entre les pays. Cette approche renforce les inégalités dans le secteur agricole et compromet la viabilité à long terme de notre agriculture.

Nous devons repenser la manière dont nous produisons. C’est pourquoi nous proposons de transformer la PAC en une Politique Agricole et Alimentaire Commune (PAAC), axée sur la promotion de la souveraineté alimentaire, la paysannerie avec l’ouverture de nouvelles exploitations agricoles et d’élevage, et la transition écologique.

Pour y parvenir, nous devons réformer le système de subventions basées sur la surface au profit d’une approche plus équitable, qui soutient les producteurs en fonction de critères tels que le nombre d’emplois sur une exploitation. En garantissant une agriculture durable, qui aide les producteurs, nous assurons la sécurité alimentaire et la préservation de notre environnement.

En novembre, la question des pesticides a été remise sur la table avec une nouvelle approbation pour 10 ans du glyphosate. La nocivité de cette substance est grandement débattue, alors que certains agriculteurs réaffirment qu’elle est indispensable. Penses-tu que les objectifs d’abandon des pesticides chimiques sont une bonne chose, en particulier pour le glyphosate ?

Je comprends les inquiétudes concernant le glyphosate. Elles sont légitimes. Mais il faut aussi entendre que ce que les agriculteurs demandent, ce n’est pas simplement un retour au glyphosate, mais plutôt un accompagnement dans la transition qui aujourd’hui n’est absolument pas garanti. C’est reconnu, le glyphosate est associé à de nombreux problèmes sanitaires, dont les agriculteurs et agricultrices sont les premières victimes. L’interdiction pure et simple créerait pourtant une difficulté supplémentaire pour nos agriculteurs, car ils ne sont pas accompagnés pour modifier leurs méthodes de production.

Par ailleurs, alors que nous interdisons le glyphosate en France, nous continuons d’importer des produits provenant de pays utilisant cette substance, comme le montre l’accord avec la Nouvelle-Zélande. C’est un non-sens, tant écologique que sanitaire et social ! Nous devons renforcer le contrôle et la traçabilité des produits importés en France et en Europe, et activer systématiquement les clauses miroirs.

Nous devons investir davantage dans la recherche et le développement de techniques agricoles durables, tout en accompagnant les agriculteurs qui souhaitent opérer cette transition. C’est le seul moyen de mettre en place des politiques qui protègent la santé des agriculteurs et des consommateurs, et l’environnement.

Autre sujet non moins essentiel : celui de l’énergie. Fabien Roussel, pendant la présidentielle, a beaucoup insisté sur les avantages du nucléaire dans le mix énergétique français. L’action menée par l’Union pour promouvoir certaines énergies vertes te semble-t-elle aller au fond des choses ?

L’action de l’Union européenne pour promouvoir les énergies vertes est un premier pas, mais nous pouvons viser encore plus haut. Pour répondre à l’urgence climatique, nous devons adopter une approche énergétique qui intègre à la fois les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire.

Il est temps de reconnaître que les énergies renouvelables ne peuvent pas, à l’heure d’aujourd’hui, répondre seules à tous nos besoins énergétiques.  Le mix énergétique est la seule alternative crédible pour lutter contre le réchauffement climatique, sans pénaliser les Français. En adoptant une approche équilibrée qui combine les avantages des énergies renouvelables et de l’énergie nucléaire, nous pourrons avancer de manière significative vers nos objectifs de lutte contre le changement climatique, tout en assurant la sécurité énergétique des citoyens. 

C’est pourquoi je propose de développer très massivement les énergies renouvelables tout en modernisant notre parc nucléaire. Le nucléaire doit rentrer dans les circuits de financement européen des énergies vertes. Cela nous permettra de garantir une production d’énergie fiable et peu émettrice de carbone, et de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles.

Au-delà de l’aspect environnemental, l’accès à une électricité abordable est indispensable pour les Français et les Européens. À Strasbourg, plaiderais-tu pour que la France quitte le marché européen de l’énergie ?

L’accès à une électricité abordable est un droit fondamental pour les Français et les Européens. Malheureusement, la libéralisation du marché de l’énergie impulsée par Bruxelles a conduit à une hausse inacceptable des tarifs et à une complexification du système, au détriment des populations. Les prix de l’énergie ont explosé, avec une augmentation significative des factures pour les ménages et les entreprises. Cette situation met en difficulté de nombreuses familles, qui se retrouvent en précarité énergétique, et fragilise notre économie.

Le mécanisme de l’Arenh et le marché européen de l’énergie sont largement responsables de cette situation. L’Arenh, en obligeant EDF à vendre son énergie nucléaire à des revendeurs privés à prix coûtant, permet à ces opérateurs privés de fixer des tarifs élevés sur le marché, sans produire d’énergie ni entretenir les réseaux. Cette spéculation sur les prix entraîne une augmentation disproportionnée des factures pour les consommateurs.

Nous devons mettre fin à la spéculation sur les prix de l’énergie et garantir à tous un accès à une électricité abordable. Cela passe par une sortie du marché européen de l’énergie, comme l’ont fait l’Espagne et le Portugal, et par des mesures audacieuses visant à reprendre la main sur notre système énergétique. Une nouvelle politique énergétique est nécessaire. Cela implique le maintien d’une filière publique de production et de distribution de l’énergie. Nous voulons également mettre en place une agence européenne de l’énergie visant à renforcer les coopérations et les complémentarités.

Cette flambée des prix de l’énergie est indissociable des enjeux industriels. Sous couvert de prix élevés et de systèmes sociaux contraignants, le capital organise la fuite de nos usines vers l’est, parfois jusqu’en Asie. En l’état actuel des choses, l’UE est-elle une alliée de la réindustrialisation, nécessaire aux travailleurs et à la planète ?

Loin de là. C’est pourquoi nous devons reconquérir notre souveraineté industrielle. Sans ça : pas de généralisation de la voiture électrique, pas de développement des transports bas carbone, pas de développement de la filière nucléaire, etc. Nous devons favoriser, en France et en Europe, une réindustrialisation qui réponde aux besoins sociaux tout en préservant l’environnement. C’est indispensable pour arrêter la folie qu’est le transport mondialisé de marchandises. Cette réindustrialisation implique une planification stratégique et démocratique, indépendante des logiques du capital et du profit, et soutenue par des services publics renforcés.

Mais disons-le : cette grande ambition de réindustrialiser le pays est indissociable des enjeux liés à notre souveraineté énergétique. Sans un mix énergétique abouti, il n’y a pas de politique de réindustrialisation ambitieuse possible. De même que pour advenir à ce mix énergétique, il est primordial de réindustrialiser le pays.

Il sera crucial d’investir massivement dans les infrastructures portuaires et ferroviaires afin de favoriser le développement du fret ferroviaire, maritime et fluvial. Cette approche permettra de soutenir la transition écologique tout en favorisant une nouvelle industrialisation basée sur la coopération solidaire entre les territoires, libérés de la concurrence déloyale et de l’influence des capitaux extérieurs à l’Europe, en particulier ceux en provenance d’Amérique du Nord.

Ces questions d’importations et d’exportations appellent aussi celle des fameux « quotas carbone ». Présentés il y a quelques années comme la formule magique contre les émissions excessives de gaz à effet de serre, ne sont-ils pas désormais que des permis de polluer passant de main en main ?

La mise en place et l’inefficacité des quotas carbone illustrent parfaitement les contradictions de l’Union européenne en matière environnementale. La volonté faite de répondre aux défis climatiques sans remettre en cause la construction libérale même de l’Union européenne est une impasse.

Les directives européennes qui promeuvent les différents marchés carbone et la bourse du CO2 doivent être abolies. Alors qu’ils étaient présentés comme une mesure forte et contraignante pour limiter les émissions de CO2, ils permettent aux grandes entreprises d’acheter des droits à polluer, et de spéculer avec ceux-ci.

C’est une double impasse : économique et écologique. Si l’Union européenne souhaite prendre à bras le corps les questions environnementales, la priorité est de soutenir le développement d’un mix énergétique stable et d’accompagner la réindustrialisation de nos territoires, et ce n’est pas compatible avec le “tout libéral”.

La décarbonation de l’économie emportera celle des transports, pour se déplacer proprement. D’un côté, l’UE a voté l’exclusivité sur le marché des voitures électriques d’ici 2035. De l’autre, elle détruit le transport ferroviaire de voyageurs en ouvrant à la concurrence, comme nous le voyons avec les premières concessions de TGV en France. C’est un peu contradictoire, non ?

Bien sûr. Aujourd’hui l’Union européenne n’a pas de cap environnemental, et la question des transports l’illustre bien. En France, sur tout le territoire, les politiques européennes entraînent la fermeture de nombreuses “lignes de vie”, ces lignes de train qui permettent aux populations de se déplacer pour leurs activités quotidiennes.

Ces lignes sont une nécessité pour toute la population. Utile aux usagers, le rail est aussi utile écologiquement pour diminuer la circulation automobile et réduire la pollution, tant pour le transport des personnes que des marchandises. Son développement est donc de nature à répondre au défi climatique.

Parallèlement, l’explosion des coûts énergétiques et le manque de stabilité en Europe dans la production d’électricité inquiètent quant à la possibilité de développer les voitures électriques. Aujourd’hui rien ne peut garantir la stabilité d’une telle ambition, pourtant essentielle à la décarbonation de nos déplacements.

Depuis quelques mois, tes positions en faveur de grandes infrastructures font débat à gauche. Quelle nécessité y a-t-il à mener des travaux pour une ligne ferrée entre Lyon et Turin, ou encore sur le canal Seine-Nord Europe ?

Face à l’urgence climatique, nous ne pouvons pas adopter une posture attentiste ou simplement décroissante. Les enjeux sont bien trop importants pour ne pas les prendre à bras le corps : nous devons porter une politique écologique populaire, rationnelle et ambitieuse.

Une écologie permettant à tout le monde d’y prendre sa part, sans contraindre et culpabiliser les individus, et surtout porteuse de grands travaux permettant de répondre aux impératifs sociaux, énergétiques et environnementaux. Les projets du Lyon-Turin et du canal Seine-nord Europe en sont un bon exemple. Ces infrastructures vont permettre de développer considérablement le fret fluvial et ferroviaire, et donc diminuer considérablement le nombre de camions sur les routes. À ce titre, le vote autorisant les super-camions de 60 tonnes est une aberration sans nom…

Je pense aussi au développement des projets de Ligne à Grande Vitesse (LGV), notamment entre Bordeaux et Toulouse, qui permettront de développer le transport bas carbone et de désenclaver les gares pour les trains du quotidien. Durant cette campagne, nous nous attelons à identifier et mettre en avant ces grands travaux utiles pour répondre aux besoins des populations et relever le défi climatique.


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