Eddie Jacquemart est le Président de la Confédération Nationale du Logement (CNL) depuis 2013. L’association née de la Première Guerre mondiale regroupe des dizaines de milliers de locataires agissant pour leurs droits, pour le droit à la dignité au travail comme dans l’habitat et pour un accès au logement pour toutes et tous.
Ce jeudi 10 novembre paraît « Fils d’HLM », récit de cette lutte pour le droit au logement au travers du parcours d’Eddie Jacquemart, lui-même enfant d’une famille ouvrière de Dunkerque.
À cette occasion, nous lui avons posé quelques questions.
Pourquoi te paraissait-il nécessaire d’écrire et de raconter au travers de parcours cette insatiable lutte pour le droit au logement ?
Plusieurs raisons m’ont guidé dans mon choix. Tout d’abord j’ai été particulièrement révolté que le logement n’ait pas trouvé la place qu’il méritait durant la campagne des élections présidentielles et législatives de 2022.
Pire, certains candidats d’extrême droite sont même allés sur le terrain abject de la stigmatisation du logement social pour développer leur théorie raciste.
Il fallait rétablir les vérités. Le HLM est, contrairement à ces dires, un véritable outil de lutte contre les injustices sociales et un facteur de progrès sociétal.
J’explique dans ce livre le rôle qu’a joué pour moi le fait d’habiter en HLM, la manière dont il a « sécurisé » ma vie (au sens de sécurité sociale) quand j’étais enfant et adolescent, ce qui m’a permis notamment de faire des études supérieures.
Ce livre est aussi un appel aux locataires à se mobiliser pour leur logement et à défendre leur droit par l’action collective.
En quelques mots, que dirais-tu de la situation actuelle concernant l’habitat en France ?
La situation du logement en France n’est pas du tout en adéquation avec son classement de 5e pays le plus riche du monde.
J’ai presque envie de dire : quelle honte, d’avoir aujourd’hui dans notre pays 4 millions de pas ou mal logés, 300 000 SDF connus, près de 15 millions de personnes fragilisées par la crise du logement et une liste d’attente pour obtenir un logement social qui ne cesse de s’allonger et qui est actuellement de plus de 2,3 millions de demandeurs.
Malgré cette situation catastrophique, depuis 2017 Emmanuel Macron ne cesse de mettre à mal ce seul amortisseur efficace pour enrayer la crise : le logement social. Ponction dans les budgets des organismes de plus de 1,3 milliard par an depuis 2018, déstructuration du modèle HLM avec la loi Elan ou encore désengagement total de l’État dans le financement de la construction des HLM et baisse des APL pour les locataires et accédants les plus modestes.
À côté de cela le gouvernement continue d’accorder des « cadeaux fiscaux » au secteur privé.
Dans le livre j’essaie d’expliquer tout cela de façon simple pour inciter les locataires à la mobilisation s’ils veulent conserver leur HLM, ce bien commun.
Et les jeunes dans tout ça ?
Je ne voudrais pas avoir 20 ans aujourd’hui. Qu’ils soient étudiants ou sur le marché de l’emploi, l’accès au logement pour les jeunes est devenu un véritable parcours d’obstacles et pèse cruellement dans leur budget.
Il n’est pas rare de constater qu’un jeune consacre jusqu’à 50 % voir 60 % de son budget dans sa quittance.
De plus, les jeunes sont très souvent logés dans des logements de moins bonne qualité (passoire thermique, logement exigu, mal placé…) et parfois victimes des marchands de sommeil qui leur loue à grand prix des logements quasi insalubres.
Sans compter qu’ils ont été les 1ers impactés par la réforme des APL.
Dans ton livre, tu parles de différentes formes de « solidarité active », qu’entends-tu par-là ?
Face à la faillite des politiques publiques, voire des institutions, j’appelle à transformer en profondeur nos modes de fonctionnement.
Une association de locataires n’est pas un parti politique, et comme je l’écris n’a pas à elle seule, les moyens de changer radicalement les choses. Cependant elle doit revendiquer la part du travail qui lui revient.
Il est important que la CNL sache tendre la main aux étudiants pour obtenir, avec eux, par exemple, la remise à plat de l’aide sociale ; qu’elle soit mieux présente sur le terrain des discriminations, du racisme ou du sexisme notamment dans la recherche d’un logement ; qu’elle investisse le terrain de l’écologie en étant la plus déterminée auprès des habitants dans la lutte contre les passoires thermiques ou qu’elle apprenne encore face à l’inflation et la cherté de la vie à multiplier les initiatives.
Pourquoi pas, par exemple, se lancer dans l’organisation de soupes de légumes, en faire des moments de solidarité et de rencontres ? Cela n’ira à l’encontre d’une analyse et d’un discours global sur le monde HLM, au contraire permettra de faire le lien entre l’action et la revendication. C’est cela que j’appelle développer les solidarités actives.
On connaît bien la solidarité qui a pu naître au fil du temps au sein des quartiers ouvriers, qu’en est-il aujourd’hui ?
Je pense que la solidarité a résisté dans certains endroits aux appels de l’individualisme et du repli sur soi.
Même si cette solidarité s’exprime différemment que par le passé, elle demeure heureusement dans les classes populaires comme un ADN à l’épreuve du temps.
En effet, je vois parfois des choses extraordinaires d’entraide entre des habitants très modestes. C’est fragile, mais cela existe. Il faut tout faire pour que cela continue…
Est-ce ton enfance dans toutes ses réalités qui a forgé ton engagement ?
En effet, mon enfance, mes parents, ma mère surtout, « la combattante du quotidien », ont eu beaucoup d’influence dans mon engagement.
D’ailleurs dès la 6e au collège j’ai été élu délégué de classe. En revanche, mon engagement en politique est arrivé tardivement. Mais la « petite graine » était belle et bien plantée au plus profond de moi, il fallait juste qu’elle mûrisse.