Désinvestir dans la recherche : qu’est-ce que ça change ?

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Désinvestir dans la recherche : qu’est-ce que ça change ?

Le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche est parmi les plus touchés par les coupes budgétaires. Avec une baisse de 3 % de son budget total, c’est l’équivalent de 1 500 projets de recherche qui sont menacés d’après le collectif Nos Services Publics. Ces coupes budgétaires inédites auront des conséquences concrètes sur la capacité de la France à produire une recherche de qualité, notamment pour répondre aux enjeux écologiques. 

Une dégradation des conditions de travail qui poussent à l’exode

Face aux coupes budgétaires, les institutions de la recherche publique doivent maintenant trouver des financements ailleurs. Les fonds régionaux et européens constituent une alternative, mais les démarches administratives sont lourdes et les ressources de plus en plus limitées. 

Une autre alternative est l’industrie, publique comme privée. Si les coopérations entre la recherche et l’industrie permettent de favoriser l’innovation, elles ne doivent pas se limiter à des perspectives de profits et de rentabilité. En l’absence de financements publics, il sera plus difficile pour les chercheurs et chercheuses de défendre leur indépendance face à des industriels davantage préoccupés par des intérêts court-termistes. Pire, cette dépendance rendra plus difficile l’étude de technologies d’intérêt public qui ne répondent pas, voire contredisent, les intérêts des industriels. 

De manière générale, cette recherche de financements alternatifs entrave les conditions de travail des chercheurs et chercheuses. Du fait d’un manque de personnel administratif,conséquence de coupes passées, ce sont aux chercheuses et chercheurs de monter les dossiers de financement. Ainsi, c’est du temps en moins pour réaliser ou encadrer leurs recherches, sinon du temps de repos. Ajoutant à cela des rémunérations en berne, l’attractivité du secteur a atteint des niveaux critiques. Le nombre de doctorants est en baisse et une majeure partie des docteurs diplômés poursuivent leur carrière à l’étranger. 

Une érosion de la recherche fondamentale

La dépendance accrue des laboratoires envers les industriels rendra plus difficile le financement de la recherche fondamentale. Cette recherche fondamentale désigne les travaux, théoriques ou expérimentaux, visant à acquérir de nouvelles connaissances sur notre monde. Contrairement à la recherche appliquée, elle n’envisage aucune application particulière. 

Du point de vue de l’industrie, la recherche fondamentale ne représente donc qu’un intérêt très limité. Pourtant, c’est à partir de la recherche fondamentale que naît des applications alors insoupçonnées. Par exemple, c’est lors de recherches fondamentales sur la radioactivité qu’a été découverte, de manière inattendue, la fission nucléaire. Comme le dit Françoise Combes, astrophysicienne, professeure au Collège de France et membre de l’Académie des sciences : Ce n’est pas en améliorant énormément la bougie que l’on a trouvé l’électricité

En l’absence de financements publics, la recherche fondamentale peinera à financer ses activités, nous éloignant d’applications potentiellement bénéfiques pour l’humanité. 

Vers la concentration des ressources dans quelques laboratoires et l’abandon des autres

Fin 2024, Antoine Petit, PDG du CNRS, a proposé de concentrer les financements sur 25 % des laboratoires de l’institut. Ces “key-labs” seraient, selon une communication de la direction du CNRS, les plus remarquables d’entre eux, ceux qui sont réellement “de rang mondial”

Cette proposition a été rejetée massivement par les travailleurs des laboratoires du CNRS, notamment à travers une motion de défiance exigeant l’abandon de la réforme et la démission d’Antoine Petit qui a recueilli 10 000 signatures

Bien que suspendue depuis janvier 2025 par le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Philippe Baptiste, cette réforme est révélatrice d’une évolution à venir. En l’absence de moyens, les instituts et laboratoires seront tentés de privilégier les domaines les plus prolifiques, du point de vue académique ou industriel, au détriment de ceux peinant à produire des publications ou des applications. 


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