Alors que la réforme du lycée professionnel annoncée en avril dernier inquiète les syndicats d’enseignants, Emmanuel Macron ne semble pas décidé à bouger d’un jota.
Plus méprisant encore, le gouvernement souhaite assurer sa bonne mise en place par les enseignants eux-mêmes au moyen d’un chantage au salaire des plus douteux. Pour ce faire, celui-ci souhaite s’appuyer sur le « Pacte » proposé aux enseignants par le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye.
Le Pacte enseignant, grand retour du « travailler plus pour gagner plus »
Annoncé en février dernier, Emmanuel Macron et le ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye souhaitent mettre en place un nouveau « Pacte » avec les enseignants. Le principe est simple : garantir des augmentations de salaire moyennant l’engagement des professeurs sur des missions supplémentaires à celles qui sont déjà les leurs. En signant le grand retour du « travailler plus pour gagner plus » alors même que la situation des enseignants se dégrade de jour en jour, le gouvernement botte ainsi en touche sur les revendications salariales des syndicats.
Pourtant, toutes les enquêtes s’accordent à le dire : le temps de travail en moyenne des enseignants est déjà conséquent. Selon l’enquête Emploi du temps de l’INSEE, les enseignants du second degré déclarent travailler plus de 40 h par semaine. Entre le temps passé avec les élèves, la préparation des activités pédagogiques, ou encore les heures prévues avec la communauté éducative (parents d’élèves, collègues, direction d’établissement…), les enseignants ne manquent pas de travail ! Cette augmentation de la charge de travail des professeurs illustre la méconnaissance et le mépris du gouvernement à l’égard des métiers de l’éducation.
Concrètement, le Pacte prend la forme de différentes “missions” que les professeurs peuvent choisir d’assumer ou non, en échange donc d’une rémunération.
Ces “missions” remettent en cause le statut même des professeurs en dévoyant leurs fonctions : soutien scolaire dans le collège le plus proche pour les professeurs de primaires, remplacements au pied levé, aide à l’orientation des élèves, insertion à l’emploi… Alors même que l’Éducation nationale peine à recruter du fait des mauvaises conditions de travail et des salaires trop bas, ce Pacte apparaît être un outil de démantèlement du service public de l’éducation, au détriment des professeurs et des élèves.
Le Pacte en lycée professionnel : un moyen de mettre au pas les professeurs
Depuis plusieurs années, maintenant, les professeurs de lycée professionnels dénoncent les bas salaires et les conditions de plus en plus difficiles d’exercice de leurs métiers. En septembre dernier, ils étaient nombreux à affirmer leur rejet du projet de réforme proposé par Emmanuel Macron et Pap Ndiaye.
Dès lors, pour assurer sa bonne mise en place par les enseignants, le gouvernement souhaite s’appuyer sur ce déclassement salarial. Le Pacte, présenté comme une augmentation des salaires, est en réalité un outil permettant de déployer la réforme sur l’ensemble du territoire. Les enseignants signataires contribuent par l’intermédiaire des missions proposées par le Pacte au déclassement de l’enseignement professionnel : insertion prématurée des élèves dans le monde du travail, fermetures de filières, reconversions forcées, destruction à terme du statut de professeur de lycée professionnel.
Chacune des six missions proposées dans le Pacte renvoie à l’une des mesures de la réforme. Par exemple, une d’entre elles consiste en des enseignements généraux donnés en petit groupe, certainement pour pallier la marginalisation de ceux-ci dans le lycée professionnel voulu par les libéraux. Mais, aucun recrutement supplémentaire n’est prévu pour cette mesure. Par contre, on retrouve dans le pacte une mission intitulée “enseignement complémentaire en groupes d’effectifs réduits”. Une manière donc de faire reposer l’application de la réforme sur la bonne volonté des professeurs. Cet aspect de la réforme serait ainsi effectué par les « pactisés », donc pas nécessairement spécialistes de la discipline : va-t-on demander à un professeur de mathématiques d’enseigner le français ?
De la même manière, la mission « d’accompagnements des élèves en difficulté » se traduit par une extraction des élèves les plus en difficultés du système scolaire pour les diriger vers les structures d’insertion professionnelle comme le prévoit la réforme. De même que les missions du Pacte « enseignement et accompagnement dans les périodes post-bac » et « accompagnement vers l’emploi » poussent les enseignants, en collaboration avec le dispositif France-Travail, à diriger les élèves de manière prématurée vers des contrats courts et mal payés, objectif là aussi de la réforme.
Ces trois exemples ne sont pas isolés. Soyons clairs : le gouvernement monnaye 7 500 € par an le démantèlement du lycée professionnel par l’intermédiaire de « missions » orientées pleinement vers le déploiement de la réforme.
Vers une contractualisation des missions des enseignants ?
À noter que le Pacte pour les professeurs de lycée professionnel possède une autre spécificité non négligeable. Ces « missions » de l’ordre de six sont non sécables ! Autrement dit, les enseignements n’ont pas vraiment le choix : s’ils souhaitent bénéficier de ces augmentations de salaire, ils doivent impérativement s’engager sur la totalité des missions.
Au-delà de cette volonté de contraindre les enseignants à la vision étriquée que le gouvernement a de l’enseignement professionnel, le caractère « non sécable » de ces missions fait planer un autre véritable danger : la casse du statut de fonctionnaire. Le Pacte se matérialise par une lettre de mission sur un an (un contrat), à signer sous l’autorité du chef de l’établissement. Il se matérialise donc par une contractualisation des missions de l’enseignant sur un an.
Cette porte ouverte à l’annualisation des services et des missions du fonctionnaire laisse présager une précarisation de plus en plus accrue des métiers de l’enseignement. Cette volonté à peine cachée du gouvernement de renforcer l’apprentissage au détriment du lycée professionnel se traduit aussi dans le métier des professeurs : la mise en place du Pacte rapproche les horaires et les missions des professeurs à celles des formateurs contractuels des Centres de Formation pour Apprentis (CFA).
En résumé, le Pacte proposé aux professeurs de lycée professionnel revient à une augmentation considérable de leur charge de travail, une transformation brutale des missions inhérentes à leur métier et à une casse du statut de fonctionnaire du service public. Tout un programme pour les libéraux, qui dessinent avec cet outil les contours d’un nouveau service public calqué sur les modes de fonctionnement et d’organisation du privé.