Le nouveau projet de loi immigration a vu son entrée dans l’hémicycle reportée à une date inconnue. Dans le contexte si particulier de la lutte contre la réforme des retraites, le gouvernement macroniste affaibli ne repose plus que sur une majorité incertaine.
Le texte sera, sans aucun doute, l’occasion pour plusieurs hommes politiques de jouer la partition de l’État garant de l’ordre et de la sécurité face au désordre que représentent manifestants, « écoterroristes » et personnes en situation irrégulière.
Gérald Darmanin donnait déjà le ton lorsqu’il appelait sur CNews à « un texte ferme contre l’immigration irrégulière » et réclamait : « on a besoin d’une loi, j’en ai besoin pour en expulser 4 000 [personnes] par an de plus ».
Expulser toujours plus : petite musique d’une politique répressive
Pour renforcer l’arsenal répressif de l’État, le projet de loi (dont on peut trouver l’exposé du texte tel qu’il était initialement prévu), qui devra finalement être morcelé, vise essentiellement à restreindre les possibilités de regroupement familial et à renforcer les pouvoirs du ministère de l’Intérieur en matière d’expulsion.
Le projet propose notamment de faire passer le délai d’exécution des mesures d’éloignement à deux ans au lieu d’un an actuellement, de donner à l’administration la capacité de prononcer des mesures d’éloignement à l’encontre des étrangers qui présenteraient « une menace pour l’ordre public », ou encore d’expulser des personnes en situation irrégulière résidant depuis plus de 10 ans en France.
Si le projet intervient dans une conjoncture politique particulière, et si le besoin du gouvernement de rallier les voix des élus Les Républicains pour faire adopter le texte provoque une surenchère à droite — la commission des Lois du Sénat avait déjà musclé les mesures répressives du texte dans sa première monture —, ce haro sur l’immigration est tout sauf une nouveauté.
Depuis la loi Pasqua de 1986, on compte en France pas moins de 21 lois immigration qui ont présidé au développement d’un vaste système d’enfermement et d’expulsion dans les marges de la République. Les centres de rétention ont fait leur apparition en France dans les années 1970, alors que la police de Marseille incarcérait secrètement des personnes en situation irrégulière pour procéder à leur expulsion avant que la pratique ne soit révélée dans les colonnes de l’Humanité.
D’un expédient policier illicite et discret, le système d’enfermement des étrangers a depuis été érigé en politique d’État.
On peut pour en donner la mesure évoquer l’allongement au cours des quatre dernières décennies de la durée de rétention maximale des personnes en instance d’éloignement. De 6 jours en 1981, celle-ci est de 12 jours en 1998, puis de 32 jours après la loi Sarkozy de 2003. Depuis 2018, elle est désormais de 3 mois.
La « redécouverte » de la force de travail migrante
Ce qui apparaît en revanche plus surprenant dans le projet de loi au regard de la législation française en matière d’immigration, c’est le retour en force des questions de travail avec la proposition d’introduire une nouvelle carte de séjour pour les personnes opérant dans les métiers dits « en tension ».
Depuis l’arrêt officiel de la migration de travail en 1974, les titres de séjour délivrés pour raison de travail sont rares en France, conduisant au développement d’une main-d’œuvre sans papier toujours plus nombreuse qui participe à la production des richesses tout en restant exclue des droits politiques et sociaux.
La proposition d’élargir les possibilités de régularisation par le travail qui coexiste avec un discours des plus hostiles à l’immigration a de quoi surprendre.
Les mêmes personnes en situation irrégulière que le gouvernement cherche à expulser pourraient obtenir des possibilités de régularisation lorsqu’on jugera leur présence opportune pour l’économie du pays.
Cette schizophrénie gouvernementale n’est pas qu’une spécificité française. Le gouvernement italien d’extrême droite de Giorgia Melloni qui s’était pourtant fait élire sur un programme explicitement xénophobe a récemment concédé, sous la pression des organisations patronales, à la régularisation de 82 000 personnes. Un record pour le pays qui devrait encore progresser dans les prochaines années.
Dans l’ensemble de l’Europe, qui connaît un rythme d’accumulation du capital soutenu au sortir de la pandémie mondiale, en Espagne, Portugal, en Allemagne ou en France, les organisations patronales pèsent de tout leur poids pour infléchir les politiques migratoires et trouver de nouveaux travailleurs et travailleuses destinées à assurer les emplois ouvriers non délocalisables des économies nationales : hôtellerie, BTP, services d’entretien, transport public, collecte des ordures, etc.
Une dangereuse synthèse
La proposition de créer une carte de séjour pour les métiers « en tension », si toutefois elle résiste aux oppositions du RN et de la droite, améliorera très certainement la situation de plusieurs travailleurs sans-papiers.
Quid cependant du dispositif si l’économie évolue, et si le taux de chômage grimpe à nouveau ? Et quid des personnes étrangères qui travaillent ou aspirent à évoluer dans des secteurs économiques moins difficiles et mieux payés, qui seront exclues de la mesure ?
En ouvrant des possibilités de régularisation, mais seulement pour certains secteurs de l’économie, les autorités participent à produire une segmentation du monde du travail dans laquelle les tâches productives les plus pénibles et les moins rémunérées sont reléguées aux étrangers.
Cette dangereuse synthèse entre répression et exploitation des étrangers a de quoi nous alerter.
Alternant entre une approche hostile ou utilitariste des migrations, le gouvernement dessine une politique cynique qui ne cherche pas à élargir les droits des étrangers et à bâtir une meilleure justice entre les personnes qui travaillent en France, mais à instituer une deuxième catégorie de travailleuses et travailleurs soit corvéables, soit expulsables.