Michelin, la délocalisation en roue libre 

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Michelin, la délocalisation en roue libre 

Alors que la campagne pour les élections européennes bat son plein, peu remettent en cause l’orthodoxie libérale proeuropéenne. Les thématiques euro-béates sont légion et on nous vante l’Europe sociale : celle de la paix face à la guerre, celle de la coopération. Ce qui est sûr, c’est que ni cette paix, ni cette coopération ne sont pas à l’ordre du jour pour les travailleurs qui subissent de plein fouet la concurrence libre et non faussée. C’est le cas à Michelin, en France, qui profite de “l’Europe sociale” pour délocaliser à tout-va.

Paternalisme social ou “plan de simplification et de compétitivité”

Sous ce beau nom vide de sens se cachent des principes libéraux extrêmement violents pour la classe travailleuse. 

En 2023, ce sont 451 nouveaux postes qui devaient être supprimés, s’ajoutant aux 4 600 emplois disparus sur notre continent depuis 2016. Ces suppressions se concentrent principalement sur les sites du siège social de Clermont-Ferrand et certains sites industriels français.

Si 318 postes devraient être créés pour “compenser” ces pertes, ils ne couvrent pas l’ensemble des postes supprimés et s’inscrivent dans une dynamique de restructuration salariale, et de l’activité de production, sur un cycle de trois ans. Face à ces annonces, anciennes comme récentes, les syndicats restent inquiets de voir cette énième perte d’emploi.

Pour Michelin, il s’agit d’une stratégie face à une concurrence internationale croissante, du fait de marques plus petites et low cost. Il s’agit donc, d’après le patronat, d’adapter l’activité et la stratégie en conséquence. Historiquement, et encore aujourd’hui, Michelin se fait le chantre du paternalisme social, de l’accompagnement de ses salariés, mais impacte directement les travailleurs français et étrangers via ces décisions d’orientation de l’activité en supprimant des postes ou en les délocalisant.

“Recentrage” de l’activité de production et “relocalisation” d’emplois

Ainsi, au nom de la sacro-sainte compétitivité, Michelin réoriente son activité sur le haut de gamme en Europe de l’Ouest et délocalise une bonne partie de sa production vers des pays à coûts plus bas. Le discours s’appuie sur la tendance plus large en France de déclin de l’industrie, de modernisation des usines. Pour justifier leurs politiques antisociales, allant contre l’intérêt direct de leurs travailleurs, les patrons invoquent également l’argumentation de la saturation du marché.

Dans une ultime tentative de maintien de l’emploi et de la production, Michelin a choisi de se tourner vers l’innovation technologique :  des pneus connectés, gestion des parcs automobiles d’entreprises, etc. Non seulement ce recentrage ne permet pas de compenser l’ensemble des suppressions de postes, mais il s’agit de nouvelles parts de marchés et donc de nouvelles activités. Cela ne permet pas de maintenir des emplois industriels déjà présents ou en liquidation.

C’est principalement à Clermont-Ferrand, où se situe le siège social de l’entreprise, qu’ont eu lieu les suppressions d’emplois. Pour les syndicats, plus que des licenciements, ce sont des délocalisations. Les emplois supprimés sont ainsi avant tout administratifs et c’est en Roumanie que ceux-ci sont délocalisés. La fameuse “chance” qu’est l’Union européenne, mettant en concurrence les travailleurs de ses pays membres. Rappelons qu’en Roumanie, le SMIC est d’environ 466 € contre environ 1540 € en France. Comment être compétitif dans ces conditions ?

Des décisions politiques

Il serait faux de prétendre que Michelin est un cas à part dans le paysage industriel actuel. Au contraire, il s’agit d’un très bon exemple des tendances économiques qui traversent actuellement les entreprises françaises : pression des actionnaires, rentabilité à tout prix, dividendes indécents. Le dividende d’une action Michelin est passé à 1.35 €, soit une hausse de 8 % pour l’année 2023, alors qu’en 2020, le dividende par action n’était “que” de 0.58 €. Les licenciements payent, mais pas pour les travailleurs.

Il faut noter que si l’emploi administratif reste au sein de l’Union européenne, il n’en va pas de même pour l’emploi industriel. Michelin supprime ainsi ces emplois dans toute l’Europe, par exemple en Allemagne où deux usines vont fermer, en se cachant derrière la pression du low cost. Encore une fois, l’Union européenne n’est pas non plus la protection qu’on nous vend matin, midi et soir. Avec les traités de libre-échange, il est plus rentable pour certaines entreprises de délocaliser leurs activités industrielles en dehors de l’Europe pour assurer dividendes et bonne santé économique à leurs actionnaires.

Face à cela, comment s’opposer ? Nous avons un exemple pratique à Clermont-Ferrand, où l’entreprise bénéficiait d’une exonération fiscale contre laquelle les élus communistes se sont longtemps battus au niveau métropolitain. En septembre 2021, suite aux licenciements de l’entreprise, cette exonération a été annulée. C’est donc en sanctionnant les entreprises que l’on peut rétablir une forme d’équité au niveau local : avec la fin de cette exonération, c’est autant de nouvelles rentrées dans les caisses de la collectivité. Mais on ne peut réduire nos marges d’actions à des sanctions : c’est en révolutionnant le système de production, en révolutionnant le travail que nous pourrons enfin dépasser les inégalités et injustices inhérentes au système capitaliste.


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