Lord Byron, le voyage à revers du monde

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Lord Byron, le voyage à revers du monde

Le Pèlerinage de Childe Harold, de George Gordon, Lord Byron, n’avait pas connu de traduction française en près de deux siècles, exception faite de quelques traductions parcellaires et en prose, datant du 19e siècle. 

Pour cause : le monde de l’édition, comme les autres secteurs de l’économie, est en butte au sacro-saint critère de rentabilité. 

Une jeune maison d’édition indépendante, Manifeste, décide pourtant de se lancer dans l’aventure, en faisant traduire les quelque 6 000 vers voyageurs du long poème initiatique de Lord Byron. 

À l’occasion d’une récente lecture en librairie, le traducteur, Jean Pavans, décrit au public les difficultés liées à la rémunération des traducteurs littéraires, « faire traduire 6 000 vers au tarif normal est trop cher pour un éditeur “traditionnel” ». 

L’éditeur n’en est pas à son premier coup d’essai et s’obstine. Il parviendra à décrocher le soutien du Centre National du Livre, un coup de pouce précieux en pleine crise du papier pour aider à financer la traduction.  

L’œuvre elle-même a marqué son époque, l’histoire littéraire et celle des représentations. 

À sa publication, Le Pèlerinage de Childe Harold consacre le succès phénoménal de la première vedette moderne de l’histoire. Childe Harold est de ces grandes œuvres littéraires dont le tour de force consiste à saisir l’esprit du temps, au diapason des aspirations profondes — secrètes et implicites — du grand public. 

Le Royaume-Uni se trouve sous « blocus continental », alors que Napoléon Bonaparte tente de ruiner la couronne britannique en empêchant le commerce avec le reste de l’Europe. 

Isolation oblige, le public rêve d’ailleurs. À la faveur des circonstances historiques, les voyageurs comme Byron prennent l’Europe à revers, en l’abordant par le Sud, à travers l’Espagne, l’Albanie, et la Grèce. 

L’œuvre connaît ainsi un écho et une influence foudroyants du vivant de son auteur. Du reste, « jamais aucun poète n’a pu jouir d’un tel impact de son vivant en Europe ». C’est ce que soulignent très justement le poète Franck Delorieux et le traducteur Jean Pavans, réunis pour la présentation de la traduction du poème. 

Childe Harold est un véritable « best seller », vendu à 10 000 exemplaires dès sa parution. La traduction suit presque aussitôt. À une époque qui ne connaît pas encore l’exclusivité d’édition, on en compte rapidement à foison, très belles pour certaines. La culture circule, échange, voyage, sur les talons d’une génération de poètes épris du Sud. 

Lamartine écrira une suite de Childe Harold. Goethe dira de Byron qu’il n’était « ni antique ni romantique », mais « comme le jour qui se lève ». Baudelaire lira en lui « un esprit salamandrin », un besoin vital de feu. 

Pour le traducteur, Byron est un « poète de la personne » un personnage « prismatique » qui donne à voir des éclats de lui-même et réfléchit la lumière, avec une difficulté cependant « à se projeter dans un autre que lui-même ». Ainsi, « le dépeindre en rockstar ne lui rendrait certainement pas service ». 

Son triomphe a, en effet, quelque chose d’accidentel, ses mœurs, et sa liberté de ton, effraie, suscite des attaques. Il renonce presque à l’écriture, avant le succès de Childe Harold.

Byron détient à ce jour le record du poète européen le plus encensé de son vivant. 

C’est aussi une lecture salutaire dans notre période de grand confusionnisme politique qui aime à placer les combats d’émancipation hors du champ du raisonnable, dans un espace liminal, proche du fanatisme et de la passion. 

C’est ce qu’on devine sous le vernis d’une émission de France Culture, en descriptif d’un opus consacré notamment à Byron, où l’on entend que « Lord Byron, le Che, et les djihadistes ont des affinités. » 

Alors, qui a peur de Lord Byron ? 

Il demeure un héros en Grande-Bretagne, et en Grèce, où il combat pour la liberté et l’autodétermination du peuple grec, face au joug de l’Empire ottoman. Il avait envisagé un temps partir pour le Venezuela et participer au mouvement révolutionnaire. 

Figure étonnante, sa première allocution à la chambre des Lords prend la forme d’un plaidoyer pour défendre des travailleurs en grève. 

Pour avoir lutté pour l’indépendance grecque, il est devenu une figure des luttes anticoloniales. 

C’est encore aujourd’hui une figure des combats pour la liberté, de la jeunesse qui a soif de connaître le monde, pour mieux le transformer. 


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