La déconnexion à son sommet

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La déconnexion à son sommet

Lors du Sommet mondial pour l’IA, Emmanuel Macron a annoncé un investissement de 109 milliards d’euros dans le secteur. Derrière cette ambition, la réalité est contrastée : financements étrangers, intérêts privés et coupes dans la recherche publique. Une stratégie qui interroge sur la souveraineté et les priorités nationales.

Les 10 et 11 février derniers, la France accueillait le Sommet mondial pour l’action sur l’IA, réunissant un fin gratin de dirigeants politiques et de chefs d’entreprise de la tech. Dans un contexte international marqué par la percée de l’IA chinoise DeepSeek, Emmanuel Macron a profité de l’occasion pour annoncer en grande pompe un investissement de 109 milliards d’euros pour développer l’intelligence artificielle en France.

Notre pays entre donc avec éclat et fracas dans la compétition internationale de ce secteur du numérique. Emmanuel Macron prétend même concurrencer les puissances technologiques que sont la Chine et les Etats-Unis : 109 milliards d’euros, cela correspond à la somme investie par les Etats-Unis dans Stargate, rapportée au PIB de la France.

Tandis que les médias traditionnels et libéraux se joignaient à l’euphorie technophile ou tentaient d’incarner un doute raisonnable, l’origine et les intérêts de cet investissement n’ont été que peu questionnés.

A qui profite le fric ?

En voilà une question importante. Tout investissement répond à des intérêts, collectifs ou privés. Pour les connaître, il suffit souvent de poser une seconde question : d’où vient l’argent ?

En l’occurrence, sur les 109 milliards d’euros, 50 proviennent des Émirats arabes unis pour construire le plus grand campus d’Europe consacré à l’intelligence artificielle et doté d’un data center géant.

20 milliards d’euros proviennent du fonds canadien Brookfield, principalement pour construire d’autres data centers, dont un à Cambrai.

Les entreprises américaines prennent aussi leur part du gâteau, avec quelques milliards investis respectivement par Amazon, Apollo, Digital Realty et Prologis, suivis de nos amis britanniques, japonais et suédois.

Les entreprises françaises apporteront elles aussi quelques milliards. Parmi les noms cités par Emmanuel Macron : Iliad, Orange, Thalès et, bien sûr, Mistral AI.

Cocorico !

Souveraineté et valeurs bradées

Cocorico ? Pas vraiment : les capitaux investis, privés et très largement d’origine étrangère, présentent une déconnexion totale avec les intérêts populaires français.

Qui pour penser qu’un investissement privé peut répondre à d’autres intérêts que ceux du privé ? Qui pour croire qu’un investissement étranger est gage de souveraineté sur notre territoire ?

Malgré l’ambition affichée par Macron, la puissance française ne se donne pas les moyens de répondre à autre chose qu’aux intérêts des investisseurs. 

Le cas de Cambrai est intéressant : la ville a déjà fait l’objet d’annonces en grande pompe avec la vallée de la batterie. L’objectif affiché de recréer industrie et emploi dans cette zone marquée par la fermeture des mines peine à être atteint.

Doit-on s’attendre à la même chose pour le data center et l’intelligence artificielle ?

La logique employée par Macron ne rassure pas : en parallèle des investissements étrangers dans l’IA française, notre enseignement supérieur et la recherche sont rabotés de 1,2 milliard d’euros.

Pour quelle utilisation ?

L’intelligence artificielle ouvre un monde de possibilités pour répondre aux besoins humains. Le domaine de la santé, en particulier, peut faire l’objet de grands progrès grâce à cette technologie.

Pour nous rassurer, la France est également signataire d’une déclaration internationale pour une IA éthique, aux côtés d’une soixantaine de pays.  Grands absents, les États-Unis, le Royaume-Uni et Israël, sont pourtant très avancés dans la course à l’IA. 

Ces promesses répondent à une inquiétude réelle liée à l’utilisation de l’IA au détriment des populations, inquiétude que les déclarations militaristes d’Emmanuel Macron tendent à justifier.

N’oublions pas l’essentiel : comme la plupart des technologies, l’IA n’est qu’un outil. Son utilisation dépend donc de qui le tient. Cet outil est à l’image de la société qui l’a vue naître et qui l’emploie.

En l’occurrence, dans la France de 2025, l’intelligence a tout pour reproduire les travers de son temps. Ne nous en étonnons pas.

L’intelligence artificielle n’est pas à considérer comme un risque en soi, ni comme une opportunité en soi. Si la France souhaite une IA éthique, une IA répondant aux aspirations populaires et aux intérêts de tous, elle devra bâtir la société qui la fera naître.


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