S’il faut encore plusieurs mois, voire plusieurs années, pour que l’industrie cinématographique se remette totalement des mois de fermeture et de la crise du Covid, nous pouvons remarquer plusieurs choses plutôt positives.
D’abord, le cinéma étasunien est moins fort que d’habitude dans le poids qu’il prend en termes de billets vendus, et les « petits films » — en termes de force économique et non de qualité filmique, évidemment — notamment internationaux font des scores inattendus dépassant les prévisions !
Quelques films qui — par leur originalité, leur force de propositions, et leur qualité filmique et esthétique — se démarquent des autres et peuvent peut-être participer à la reconstruction dont le cinéma a besoin.
Enfin, pour ne pas bouder notre plaisir sadique, parlons des films les plus ratés de 2022, ceux qui ne font que nous ramener vers un cinéma plat, sans originalité, et uniquement commercial. Évidemment, rappelez-vous que l’auteur de cet article n’a pas pu tout voir !
Les Tops
Les Cinq Diables, de Léa Mysius
Sorti en fin août, il s’agit peut-être ici du film de genre français le plus prometteur pour le futur de l’industrie. Suivant l’intrigue d’une jeune fille dotée de pouvoirs surnaturels, liée d’une manière étrange et inquiétante à la relation de sa mère — jouée par Adèle Exarchopoulos — avec une de ses exs d’il y a longtemps.
Adoptant presque la nature d’un conte, ce film doté d’une atmosphère toute particulière, à mi-chemin entre un réalisme froid et l’aspect surnaturel inquiétant, est très prenant, et d’autant plus agréable qu’il narre des sentiments très primaires et très humains, comme lorsque la jeune fille demande à sa mère si elle l’aimait avant sa naissance, prise par la terreur de ce qu’elle découvre via ses pouvoirs.
Le casting est fort, et nous saluons le fait que l’action se déroule en dehors de Paris, dans les fins fonds des montagnes alpines. De quoi encourager le cinéma français à sortir de ses structures narratives traditionnelles, peut-être pour aller vers quelque chose de plus folklorique — dans le bon sens du terme !
Incroyable mais vrai, de Quentin Dupieux
Nous suivons une poignée de personnages — dont celui joué par un Alain Chabat tout en finesse — affrontant l’irruption d’un tout petit peu de surnaturel dans leurs vies, mais avec des conséquences les dépassant entièrement.
Ici aussi, le récit prend la forme du conte, d’une fable, avec aussi bien la force morale qui y est associée que l’aspect archétypal et populaire qu’on peut y attacher. Nous explorons les pires peurs de l’homme vieillissant et de la femme âgée, à travers la trappe d’une maison ayant un mystérieux pouvoir.
Les dialogues sont particulièrement savoureux, et ils ont la capacité extrêmement frustrante de faire attendre le plus possible le spectateur pour une révélation, tirant la corde jusqu’à ce que s’en soit insupportable — et extrêmement drôle. C’est peut-être, au final, le film le moins « absurde » ou « loufoque » de Quentin Dupieux, et la fameuse Badinerie de Bach accompagne l’histoire étrange — mais très révélatrice — de ces deux couples si communs et en même temps si attachants.
Top Gun: Maverick, de Joseph Kosinski
Impossible ici de ne pas parler de cette tuerie. Sorti en mai — et ayant réussi l’exploit d’être resté au cinéma pendant des mois avec un haut taux de spectateurs — il n’est pas possible de résumer ce film à son potentiel de défouloir, à ses manœuvres aériennes de dogfight extrêmement réussies, à ses images et la qualité technique des effets spéciaux et, surtout, du son, qui est absolument phénoménal.
Non, la réelle prouesse du film — et c’est là presque une surprise — est son histoire. Le lien absolument attachant et tragique entre l’instructeur de vol et le jeune pilote ayant perdu son père en service, aucun des deux ne réussissant à communiquer sur la douleur de cette perte et entrechoquant à distance leur deuil.
Ce film, très lucasien dans ses thèmes et ses personnages — il y a presque un côté « désactive ton ordinateur de visée et utilise la Force, Luke » — est peut-être le film populaire le plus américain étant sorti depuis longtemps, avec cet aspect libertarien anti-État où le groupe n’est qu’un assemblement d’individus forts exploitants leurs capacités exceptionnelles pour un objectif militaire commun. C’est simple, lorsque nous sortons de la salle, nous avons encore l’impression d’être dans le cockpit avec Tom Cruise, qui ne vieillit pas, et d’être encore embarqués dans cette histoire de frères d’armes et de pères de substitutions.
La Conspiration du Caire, de Tarik Saleh
Ce film suédois en langue arabe, tourné à Instanbul à défaut de pouvoir être tourné en Égypte, nous plonge avec talent dans les intrigues politiques et religieuses qui affectent les relations de pouvoirs et le rapport de force entre l’état-major d’Al-Sissi et le Grand Imam de l’université Al-Azhar, haut lieu de l’étude théologique de l’Islam sunnite.
Au milieu de tout cela, les Frères musulmans essayent d’étendre leur influence et leur doctrine obscurantiste. Tous ces vastes enjeux sont rendus personnels via le personnage principal, Adam, un simple fils de pêcheur doté selon son père de ce « cadeau de Dieu », qu’est son esprit et sa capacité à comprendre les textes sacrés, dans une famille qui n’aurait en théorie jamais pu rêver d’avoir un fils inscrit à une université aussi prestigieuse.
L’interprétation de Tawfeek Barhom et ses relations avec les autres personnages — notamment son ami à l’Université et le colonel de l’armée — donnent une vraie dimension humaine — et au final pessimiste et réaliste — à ces luttes impitoyables pour le pouvoir. La mise en scène est toute en subtilité, le rythme de la narration alternant la lenteur et l’imminente tension, renforçant ainsi l’une et l’autre de ces forces narratives.
Vesper Chronicles, de Kristina Buožytė et Bruno Samper
Voilà un film dont nous pouvons être tristes qu’il n’ait pas rencontré son public. Financé par des sociétés de productions de trois pays différents, la France, la Belgique et la Lituanie, ce film de science-fiction post-apocalyptique nous plonge de manière presque intime dans l’histoire d’une jeune femme, Vesper, s’occupant de son père — ancien militaire mutilé et abandonné par sa hiérarchie — et voulant découvrir le secret d’une nouvelle agriculture, afin de replanter les graines de l’avenir.
Doté d’une direction artistique très inspirée, d’images sublimes et de moments de poésie mémorables, impossible d’oublier les images de cette jeune femme silencieuse, timide, mais dotée d’une aisance avec les choses et d’une volonté touchante d’une vie meilleure, et qui n’est pas sans rappeler Nausicäa de la Vallée du Vent dans sa relation avec la nature et l’environnement, l’optimisme débridé d’Hayao Miyazaki laissant ici place à de lents et douloureux espoirs de reconstructions.
Certes, ce film est lent et a de quoi dérouter : il faut alors savoir se laisser immerger dans cet univers sombre, cette difficulté à vivre ; nous trouverons alors dans les personnages doux, bons et forts, les plus belles choses de l’humanité.
Les Flops
Les Animaux fantastiques 3 — Les Secrets de Dumbledore, de David Yates
Quel dommage que cette franchise ! Après un premier volet inégal, mais plein de bonnes idées, avec un Eddie Redmayne flamboyant dans le rôle du jeune Norbert Dragonneau, — montrant pour l’une des rares fois au cinéma grand public une masculinité fondée sur l’empathie, la timidité, mais aussi la résolution — et suivi par un deuxième volet beaucoup moins fort, ce troisième semble être venu enfoncer les clous dans le cercueil du cadavre fumant.
Pourtant, le casting est fort : Jude Law en Dumbledore, Mads Mikkelsen en son rival Grindelwald, qui réussissent d’ailleurs à apporter une (toute petite) émotion dans leurs interactions d’amour trahit.
Mais le problème est l’histoire, le scénario qui en fait est inexistant. Les personnages vont d’un point A à un point B, l’univers autour d’eux continue d’exister de manière anarchique et aléatoire, sans que le spectateur ne réussisse à comprendre quoi que ce soit.
Ayons une pensée émue pour ces élections stupides qui prennent place à la fin du film, où le Sorcier suprême est élu par acclamation de la foule. Pensons également à la déduction de ces personnages qui, après avoir vu une immense tour noire gothique frappée par la foudre au milieu d’une tempête de neige, se rendent compte qu’ils sont devant « le ministère allemand de la Magie ». Il y a trop de personnages, trop de moments inutiles. Tout juste, retenons la scène du duel de magie entre Dumbledore et son neveu, qui se déroule dans une sorte d’univers miroir blanc, et doté de quelques trouvailles originales dans les transitions des plans et du montage.
Le Visiteur du Futur, de François Descraques
C’est un crève-cœur d’écrire ça, et pourtant, le film faisant suite à la culte web-série du début des années 2010 est un échec narratif total. Cela est principalement dû au fait que le personnage principal n’est pas celui joué par Florent Dorin, le Visiteur du Futur donc, ce voyageur temporel extravagant, drôle et touchant, mais une adolescente fille de patron du nucléaire engagé pour l’écologie.
Malheureusement, le récit est naïf, peu crédible, et assez niais. Faire un film antinucléaire, pourquoi pas, mais autant bien le faire. Nous reconnaissons quelques qualités — certaines blagues font mouche, et il y a un effort tout particulier donné aux décors de certaines scènes — mais les relations entre personnages sont assez plates et surtout, incompréhensibles pour ceux qui n’ont pas vu la série de base, ce qui est une faute filmique grave.
Plus simplement, la mise en scène est plate, peu inspirée, comparable à celle du film Kaamelott (pour rester dans les franchises de la pop-culture française), où les dialogues se résument à des champs/contrechamps et où les émotions des personnages sont clamées comme à la télé, et non ressenties.
Quel dommage que le film n’ait pas pu revenir — et surtout développer et dépasser — ce qui faisait la force de la web-série d’origine ! Malgré cela, impossible de mettre ce film dans le même panier que les autres flops : ici, les créateurs ont sincèrement voulu faire une œuvre de cinéma avec passion, malgré l’échec.
Jurassic World – Le Monde d’Après, de Colin Treverrow
Rarement une séance de cinéma fut aussi douloureuse. Non pas que le film soit particulièrement difficile ou violent à regarder, mais qu’est-ce que c’est long, et ennuyeux.
Étrangement, les scénaristes se sont dit qu’il valait mieux centrer le cœur du film non pas sur les dinosaures, mais sur de gros insectes dévoreurs de plantations et sur un méchant PDG de multinationale voulant dominer le monde. Inutile de dire que nous sommes désormais très loin du génie de Spielberg du premier Jurassic Park, et qu’il n’y a même pas un film moyen pour le remplacer : c’est juste nul.
Les acteurs originaux reviennent, pour n’avoir plus aucune profondeur, reproduire leurs cascades et gestes iconiques, mais pour des actions ridicules. Les personnages du premier Jurassic World affirmaient que les dinosaures n’intéressaient plus le grand public ; inutile de cacher le manque d’inspiration derrière les excuses socio-économiques, les artistes en charge de cette franchise n’ont juste rien d’intéressant à dire.
Morbius, de Daniel Espinosa
Au-delà du caractère nanardesque de ce film, notons que la communauté internet a su se montrer bien plus créative avec ses memes et montages vidéos pour se moquer du film que les créateurs du film eux-mêmes. Les producteurs ont cru bon de ressortir le film une deuxième fois pour surfer sur cette vague, mais, pas de chance, ce fut à nouveau un flop. Ce fut une saine satisfaction de constater que, non, on ne fait pas toujours de l’argent avec n’importe quoi.
En somme, nous avons été plutôt bien servis cette année, au niveau cinématographique. Peut-être même qu’Avatar — la Voie de l’Eau, qui sortira à la mi-décembre, saura compenser la nullité quasi systématique des blockbusters américains sortis cette année. Espérons donc que l’année 2023 continue sur cette voie et que les spectateurs retrouvent enfin le chemin de la salle de cinéma.