Le 17 octobre dernier, Matahi Drollet, surfeur tahitien, montrait dans une vidéo un projet faramineux : une nouvelle tour des juges de 14 m de hauteur perchée sur quatre blocs de béton. Toute en aluminium, cette tour remplacerait l’actuelle construction en bois, qui reçoit chaque année depuis plus de 20 ans les championnats mondiaux. Alors que seuls cinq juges se partagent l’évaluation des surfeurs, la tour pourra accueillir une cinquantaine de personnes, mais également un local technique climatisé et des toilettes.
Des craintes qui se concrétisent
En mars 2020, Edouard Fritch, Président de la Polynésie française, accueillait avec enthousiasme le choix de Teahupo’o pour le déroulement de l’épreuve de surf des JO 2024. Alors que les premières craintes concernant la préservation du site se faisaient entendre, il déclarait :
« L’écologie, l’environnement et les principes de développement durable seront au cœur du projet de Teahupo’o… Les JO de 2024 seront une belle opportunité pour renforcer la promotion d’un développement durable. Durable sur le plan économique : les aménagements (hébergements d’accueil des sportifs, les espaces et équipements pour les spectateurs, pour le staff technique, pour les athlètes) seront utiles après les jeux… L’existence permanente de la vague de Teahupo’o deviendra un produit économique pérenne…
Durable sur le plan environnemental : la vague de Teahupo’o est un don de la nature. Les Polynésiens ont le devoir de préserver ce don. Cette préservation passe par le respect de l’écosystème du site, au travers notamment de la préservation du récif corallien, du lagon et de la rivière, de la biodiversité terrestre et marine. En résumé, pour être durable, les compétitions et l’organisation des JO de 2024 s’adapteront au site de Teahupo’o et non l’inverse. Le naturel du site de Teahupo’o sera préservé au maximum ».
C’est donc l’utilité et la sobriété des aménagements qui étaient mises en avant pour rassurer la population. Pour préserver ce coin de paradis qui compte moins de 1400 habitants, le collectif MATA ARA IA TEAHUPOO 2024 a vu le jour. Alors que les locaux ont immédiatement été écartés de toute concertation sur le sujet, ce collectif est l’occasion de réclamer la plus grande transparence sur les projets d’aménagements.
Utilité et sobriété, vraiment ?
Pour relier la tour à la fibre et l’alimenter en eau et électricité, ce seront 800 m de câbles et de canalisation qui traverseront le lagon. La construction sera uniquement dédiée aux quatre jours de compétition et sera ensuite démontée. Le tout pour la modique somme de 4,4 millions d’euros.
Bien que les travaux devraient respecter un cahier des charges environnementales strict, les associations de préservations de l’environnement se sentent trahies par ce projet. La présidente de Vai Ara o Teahupo’o rappelait il y a quelques semaines que « La population était favorable aux JO, mais sans aucun héritage matériel, aucune perturbation sur la façon de vivre, aucunes conséquences sur l’écosystème ».
En signe de protestation, dimanche 15 octobre, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées près du site pour une marche pacifique. Milton Parker, vice-président d’une des associations présentes, confiait à l’AFP : « Le gouvernement [polynésien] veut faire passer la barge de la foreuse par un endroit impossible, ça va tout péter. Ce n’est pas possible de faire ça proprement. Ça va être une catastrophe ! ».
Matahi Drollet regrette également les conséquences matérielles sur la population : « C’est aussi une destruction de notre garde-manger, l’un des rares endroits de Tahiti où le poisson-chirurgien est encore comestible ».
En quelques jours, la pétition lancée pour mettre fin à ce projet a recueilli près de 100 000 signatures.
Les risques liés à cet aménagement s’ajoutent aux nombreux autres facteurs de pollution et de perturbation. On compte par exemple les paquebots de croisière amarrés sur la cote afin d’abriter les surfeurs, habituellement logés chez les habitants.
Les associations soulignent aussi qu’en accueillant les JO, c’est la préservation de toute l’île qui est menacée. Annick Paofai, présidente de l’une d’elle, craint pour le Fenua Aihere, une presqu’île au sud de Tahiti. « C’est le seul endroit de Tahiti qui est presque intact, où a été mis en place le rahui, une zone où personne ne peut aller, où le lagon se régénère. »
Malgré les promesses du gouvernement, les préoccupations écologiques semblent loin d’être au cœur de l’organisation de la compétition. Finalement, du discours d’Edouard Fritch, il ne semble rester que l’ambition de transformer la vague en produit économique pérenne.