About Kim Sohee, de July Jung: quand le néo-libéralisme tue la jeunesse

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About Kim Sohee, de July Jung: quand le néo-libéralisme tue la jeunesse

Pays symbolique du néo-libéralisme, la Corée du Sud n’est pas exempte de production culturelle engagée face aux inégalités causées par son système. 

Si les amateurs de série Netflix ont pu constater cela dans Squid Game (dont le point de départ est l’endettement des familles coréennes, estimé à 100 % des ménages), d’autres cinéphiles ont pu, à plusieurs reprises, trouver une critique du capitalisme dans le cinéma de Bong Joon-ho (Parasite, Snowpiercer, Okja). 

Présenté au Festival de Cannes et au Festival du Film coréen de Paris en 2022, About Kim Sohee, de July Jung, traite aussi de cette thématique à travers le système éducatif sud-coréen. 

Stage et standards de performance

Kim Sohee est une lycéenne, dans un établissement agricole. Pour valider son année scolaire, elle doit effectuer un stage, trouvé et encadré par son lycée. Le stage n’a aucun rapport avec ses études : un centre d’appel téléphonique. 

Très rapidement, Kim Sohee doit apprendre les ficelles du métier : empêcher les clients de résilier, les manipuler à travers un discours préparé à l’avance. Ses résultats sont comparés avec celles de ses collègues, le centre étant lui-même en concurrence avec d’autres lieux d’appels. 

Cela aura évidemment un impact, non seulement physique (la fatigue), mais aussi mental (dépression, pulsions suicidaires), lui enlevant le goût de sa passion : la danse, tout en développant un rapport problématique à l’alcool. Cette situation la poussera au suicide, avec la deuxième partie du long-métrage centrée sur l’enquête.

Un système éducatif oppressif et sans avenir 

L’enquête, du point de vue du spectateur, a surtout pour objectif d’expliquer les dérives d’un système éducatif basé sur les besoins des entreprises. 

Les subventions du ministère de l’Éducation aux Académies étant basées sur le taux d’emploi des étudiants dans le monde du travail, ces dernières reproduisent le même schéma envers les lycées. En conséquence, les établissements scolaires n’ont pas pour objectif d’assurer la réussite des élèves, de les orienter vers des stages en adéquation avec leurs études. Elles signent des contrats avec des entreprises privées, qui cherchent constamment des employés en burn-out constant, comme les call centers. 

Les abus des entreprises sont constamment soulignés dans le long-métrage, par la pression sur les employés pour réussir leurs objectifs de performance et l’incitation à rester tard la nuit (transgressant la convention de stage). Les passions individuelles sont étouffées, ne répondant ni aux besoins économiques ni aux standards de genre. Un ami de Kim Sohee, aussi danseur, travaille dans une entreprise de livraison. Il est moqué par ses collègues masculins en raison de ses pas de danse.

À qui la faute ? 

Ainsi, About Kim Sohee ne présente pas tant les dérives d’une entreprise que les dérives d’un système, et les conséquences sur les individus. 

La scène la plus navrante devant être l’interrogatoire de l’enseignant chargé de trouver et d’encadrer les stages : celui-ci assure s’être informé sur le centre d’appel téléphonique. Or, l’enquêtrice révèle que l’entreprise avait 600 employés en 2022, tous engagés cette même année, avec un statut de stagiaire.

Cependant, July Jung ne limite pas sa critique au monde de l’entreprise et au système éducatif. 

Kim Sohee est très solitaire. En effet, ses parents ne se questionnent pas plus que cela sur ses conditions de stages. De plus, les conditions de travail des étudiants empêchent le développement de liens sociaux : incompatibilité des emplois du temps, fatigue, manque de confiance envers leurs états physiques et psychologiques. 

Une société néo-libérale, où la jeunesse est sacrifiée par le capitalisme, est une société profondément malade, et qui ne reconnaît pas cette maladie.

Encourager la passion individuelle, pas les besoins du système 

Tout le long du film, la passion pour la dance de Kim Sohee est mise en avant, avec la question suivante : pourquoi danse-t-elle ? Si elle a un bon niveau, elle n’est pas assez forte, et pas assez jeune, pour devenir une star de K-pop. Le long-métrage de July Jung propose implicitement une réponse simple : le plaisir de faire ce que l’on aime, et surtout le plaisir de progresser. 

Ce plaisir de progresser dans son travail n’existe pas dans une société où le travail que l’on fait est décidé par les besoins du marché, généralement pourvoyeur de postes aliénants et de subsistance. 


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